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sa maison; mais il y eut beaucoup de monde de tué et de blessé. Voilà le point où la conduite de la lice, disons mieux, celle de la cour, avait laissé venir les choses.

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M. d'Aligre, premier président du parlement, qui s'était fait plus de cent mille écus de rente, donna sa démission qu'il annonçait depuis long-temps, et ce fut M. d'Ormesson, président à mortier, qui le remplaça.

On choisit pour garde-des-sceaux M. de Barentin, premier président de la Cour des aides : manière de mannequin qu'on affubla d'une simarre.

Ce qui m'est arrivé à la révolution de 1789.

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Écrit en 1790.

Si on a lu ce que j'ai prédit des suites de la morale que les philosophes établissaient depuis longtemps, et qui ne tendait qu'à détruire tout principe de religion, tout lien de subordination; si l'on se rappelle la comparaison que j'ai faite du renvoi de M. de Calonne avec le sacrifice que Charles I fit du comte de Straffort, on conviendra que je n'ai pas mal jugé du résultat que devaient produire les nouveaux dogmes des sages et la conduite du roi. Mais ce qu'il était impossible de prévoir, c'est le point où les choses en sont venues, les fautes inouïes, innombrables des ministres, la faiblesse du roi, la décadence de la noblesse, la fausseté, la maladresse du clergé, l'insolence et la cupidité des factieux qui se sont emparés des délibérations de l'Assemblée nationale, soutenus par l'argent de l'Angleterre. A tant de calamités suffisantes pour écraser la France, s'est joint encore le complot dirigé par Laclos et le comte de Mirabeau, en faveur du duc d'Orléans, dont les entours et ces conjurés se servaient, ainsi que de sa fortune, pour envahir l'autorité et gouverner sous son nom.

Je laisse à l'histoire les détails d'une révolution qui n'a jamais eu d'exemple. Qu'en déchirant le voile sous lequel sont encore cachées les intrigues qui l'ont produite, elle apprenne à l'univers étonné par quels ressorts le plus beau, le plus puissant, et le plus florissant empire de l'Europe, dans l'espace de quelques mois, a été conduit à sa perte, qui paraît inévitable au moment où j'écris. Je me bornerai aux événemens particuliers qui me concernent personnellement, et qui, par leur singularité, ont attiré l'attention, malgré les grands et surprenans objets qui fixaient la politique de l'Europe et sa curiosité.

Depuis huit ans, le roi m'avait donné le commandement des provinces de l'intérieur, composé de l'Ile-de-France, la ville de Paris exceptée, du Soissonnais, du Berri, du Bourbonnais, de l'Orléanais, de la Touraine et du Maine. Le détail immense d'une aussi grande étendue de pays se trouva fort augmenté, au mois d'avril de l'année 1789, par la disette de grains qui commençait à se faire sentir, et qui annonçait une famine prochaine. La diminution de cette denrée de première nécessité, la crainte de l'avenir, occasionèrent des frayeurs, et produisirent une fermentation générale. Les marchés devinrent orageux, et les convois que le Gouvernement dirigeait vers les lieux les plus nécessiteux, furent interceptés: ce qui m'obligea de morceler les troupes qui étaient à mes ordres,

pour en garnir la grande quantité de marchés sur lesquels j'étais obligé de veiller, et pour y maintenir le bon ordre, pour assurer le transit des grains, tranquilliser les campagnes, où des brigands enhardis, attirés par la fermentation générale, commettaient des désordres. Jusqu'au 12 juillet, que la révolution éclata, j'ai eu la satisfaction d'entretenir la paix dans toute l'étendue de mon commandement, sans qu'il y ait eu un événement fâcheux, un seul habitant de molesté, une seule plainte contre les troupes, quoique la grande quantité de détachemens que j'étais obligé de fournir, empêchât qu'ils n'eussent tous des officiers à leur tête. Les ordres précis que j'avais donnés furent ponctuellement exécutés, tant la discipline était parfaite à cette époque.

J'ai déjà dit que je n'avais point d'ordres à donner dans Paris, dont la grande police, dans les temps ordinaires, était entre les mains du parlement, et tous les détails entre celles du ministre de la Maison. La fermentation qui commençait à se manifester, ainsi que la rareté des subsistances, obligèrent de se servir des moyens usités en pareil cas, c'est-à-dire d'employer les deux régimens de gardes-françaises et suisses pour y maintenir le bon

ordre.

Le colonel des gardes-françaises est presque toujours maréchal de France, et, dans ces circonstances, le commandement lui a constamment été

dévolu; mais, pour cette fois, M. le duc du Châtelet, qui venait d'être nommé à cette place, n'était que lieutenant-général, ainsi que M. le comte d'Affry, colonel des gardes-suisses. Le commandement fut également donné à tous deux. Ils se partagèrent la surveillance des quartiers, au prorată de la force des corps dont ils étaient les chefs.

Vers la fin d'avril, M. d'Affry eut un accident grave, qui le mit aux portes du tombeau, et dont on crut même qu'il ne relèverait pas. Comme lieutenant-colonel des gardes-suisses, je fus obligé de le remplacer, et de joindre le détail de Paris à tous ceux dont j'étais déjà surchargé; ce qui me priva de tout repos. Mes journées étaient employées aux soins qu'exigeait Paris, ainsi qu'à la correspondance de mon commandement; et, la plus grande partie de la nuit, j'assistais aux assemblées qui se tenaient chez le lieutenant de police, pour assurer l'arrivée des blés nécessaires à la subsistance de Paris,

Dès le commencement du mois de mai, on y vit abonder une quantité d'étrangers de tous les pays, la plupart déguenillés, armés de grands bâtons, et dont l'aspect effrayant suffisait pour faire juger ce que l'on devait en craindre. Nous fûmes avertis, M. du Châtelet et moi, qu'ils commençaient à s'attrouper dans le faubourg Saint-Antoine, et que la maison du sieur Réveillon était menacée. Réveillon avait une manufacture considérable de papiers

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