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de Polignac, pour être sûr que son attachement pour le roi, et surtout pour la reine, ainsi que l'intérêt du bien public, l'auraient déterminée à exciter M. le comte d'Artois, qui avait autant d'amitié que de confiance en elle, à tenir la conduite qu'il eut ; mais je crois aussi qu'elle fut fort aise que la cause générale se trouvât d'accord avec ses dispositions particulières. Elle détestait l'archevêque de Sens et l'abbé de Vermond; il n'y avait rien que ces deux hommes n'eussent employé pour la détruire dans l'esprit de la reine, sans en pouvoir venir à bout. Cependant ils étaient parvenus à ce que cette princesse se bornât aux attentions et aux témoignages d'une amitié sincère et constante; mais qu'elle ne lui parlât de rien, ni ne la consultât plus sur aucune affaire : manière d'être qui, d'après une confiance sans bornes, et l'intimité dans laquelle ces deux amies avaient vécu jusque-là, jetait nécessairement entre elles, si ce n'est du froid, du moins une réserve gênante de part et d'autre. Cela minait tout doucement le crédit de madame de Polignac, sur lequel cependant les courtisans étaient incertains par les démonstrations journalières de tendresse de la reine, dont ils étaient témoins.

Si la duchesse de Polignac put se flatter un moment d'avoir remporté la victoire complète, elle ne tarda pas à être détrompée, non seulement par les grâces accordées à l'archevêque, mais par le crédit de l'abbé de Vermond, qui, loin de diminuer,

parut encore s'augmenter : l'habitude attachait la reine à cet homme plus fait pour la poussière d'un collégé que pour le séjour de la cour, et qui, par son caractère, son insuffisance, son indiscrétion, son arrogance, s'était attiré à juste titre la haine et le mépris général.

J'étais en route pour me rendre de Contrexeville à Moulins, ignorant ce qui se passait. En arrivant à Langres, j'y trouvai la plus grande rumeur. Ma première idée fut que c'était une sédition, chose qui n'était pas rare à rencontrer dans le royaume à cette époque. Descendu de voiture, j'accostai dans la rue un homme assez bien mis auquel je demandai le sujet du mouvement que je voyais. « Com» ment, me dit-il, vous ignorez le grand événement? » L'archevêque de Sens est chassé! et M. Necker est rappelé, M. Necker, après lequel nous soupirons » depuis si long-temps! tout va bien aller ! »

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Il est certain que M. Necker est peut-être le seul exemple d'un administrateur qui soit parvenu à réunir autant de voix, et une opinion de confiance aussi générale. Il n'avait contre lui que les gens qui cherchent à s'enrichir aux dépens des autres, à profiter de la détresse publique pour faire une fortune prompte, ainsi que les courtisans qui craignaient de trouver son austérité en opposition du produit qu'ils attendaient de leur faveur. On redoutait encore de grandes économies; on les sentait nécessaires. Quant aux hommes qui jugent froidement,

ils doutaient que M. Necker pût suffire aux grandes idées que les circonstances pressantes exigeaient

de lui.

En quittant mon homme, j'allai chez l'évêque de Langres, l'abbé de La Luzerne, frère du ministre de la marine; je ne le trouvai point : mais un moment après il vint à mon auberge, et je sus de lui les détails dont on peut être instruit dans le premier moment. Il était, ainsi que moi, fort ami de M. de Lamoignon. Mon premier soin fut de m'informer de ce qu'il devenait? L'évêque me répondit qu'il n'en savait autre chose, si ce n'est que le jour que l'archevêque avait été renvoyé, M. de Lamoignon avait eu une conversation de deux heures avec le roi, d'où on l'avait vu sortir radieux. Malgré les apparences, nous n'augurâmes pas bien des suites pour lui.

Le comte de Brienne, à l'exemple de son frère, porta au roi la démission du ministère de la guerre ; je dis ministère, parce que tout récemment il était entré dans le conseil d'État. Il fut dit dans le monde que le roi n'avait pas voulu l'accepter encore ; mais les clairvoyans supposèrent que l'archevêque de Sens, qui tacitement gouvernait encore par la reine, et surtout par le crédit de l'abbé de Vermond, voulait que son frère demeurât à la cour pour veiller à ce qui s'y passait, et surtout comme empêchement à la trop grande liberté des propos contre lui, principalement au conseil. Il espéra que la

T. II.

présence de ce frère contiendrait les mécontens. Je n'ai jamais entendu louer le comte de Brienne que sur sa probité. J'y crois sans doute; mais il faut convenir que dans cette occasion il joua un guerre, defaible rôle. Dominé par le conseil de la puis le départ de l'archevêque, il ne paraissait chez le roi que comme quelqu'un embarrassé de sa contenance, qui craint d'entendre ce qu'on dit; il y était peu accosté, si ce n'est par des militaires qui profitent de la facilité que donnent les entrées de la chambre pour parler aux ministres, et s'éviter la peine d'aller à leur audience.

Mon premier soin en arrivant à Paris fut d'aller voir M. de Lamoignon. Je le trouvai assez agité sur la position des affaires et sur la sienne personnelle ; il avait une fièvre tierce dont les intervalles étaient employés aux affaires qui s'embrouillaient journellement davantage, et en conférences avec les autres ministres ; au moyen de quoi je ne pus l'entretenir que des instans, pendant lesquels il me fut impossible de me mettre au fait des choses qui ne percent pas dans le public.

M. Necker fit une grande faute en arrivant au ministère, qui fut de ne pas retirer l'édit par lequel on annonçait que tout paiement se ferait dorénavant les trois cinquièmes en argent, et les deux autres en billets à intérêts. On s'attendait au contraire; et, ne voyant point effectuer cette déclaration, on fut fondé à croire que le manque d'argent

en était cause; ce qui fit tomber le crédit que le nom seul de M. Necker devait relever. Lorsque, quelque temps après, il retira cet édit, il se justifia de ne l'avoir pas fait plus tôt, d'après ses principes qui sont que la base du crédit est la bonne foi; que ç'aurait été en manquer que de faire l'opération sans s'être assuré auparavant que l'état des finances y pouvait suffire. Cela peut être vrai en général ; mais il n'y a point de règle sans exception.

M. Necker avait été désiré et accueilli par la nation d'une manière si flatteuse, qu'il voulut de son côté chercher à lui plaire, et, s'il était possible, consolider un enthousiasme qui pouvait n'être que passager. Il imagina qu'il remplirait son dessein en annulant l'édit qui établissait une Cour plénière et des grands bailliages, en rappelant les exilés et rétablissant le cours de la justice: mauvaise spéculation pour un ministre qui manque toujours son objet; car, quelque chose que l'on fasse, on n'a point l'approbation générale, on ne fait jamais taire les intérêts particuliers; on accoutume le public à croire qu'il peut influer sur l'administration, et que son opinion doit la diriger: esprit le plus fatal qui puisse s'établir dans un État, et dont M. Necker a semé le premier germe en France par son Compte rendu, qui a instruit la multitude de choses qu'elle devait toujours ignorer, et l'a persuadée que ses rois dépendaient de son approbation et de sa volonté. De-là la licence de la presse qui fait que tout

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