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lui donnait sur l'archevêque, s'empara de la négociation que j'abandonnai de grand cœur. Comme elle était sérieusement malade, elle envoya M. de Valence, son neveu, à l'archevêque. En sortant de chez lui, M. de Valence partit pour Villers-Coterets, où j'ignore ce qu'il dit: mais peu de jours après, il arriva une lettre de M. le duc d'Orléans au roi, qui demeura sans réponse. Il se répandit que l'archevêque de Toulouse disait que la démarche était trop prématurée; ce qui m'étonna d'autant plus que, d'après le voyage de M. de Valence, je la croyais convenue.

M. le duc d'Orléans, qui désirait tout au moins son rapprochement de Paris, d'une manière presque indécente, ne manqua pas, d'après son inconséquence ordinaire, de faire ce qu'il fallait pour en éloigner l'instant, en choquant le roi par un de ces choix dont la bizarrerie se rapportait si bien à son caractère. Il prit, pour remplacer M. Ducrest, et pour son chancelier, M. de La Touche, capitaine de vaisseau, homme dont le maréchal de Castries avait su distinguer le mérite et les talens, en l'appelant auprès de lui pendant son ministère, et lui donnant sa confiance pour tous les détails qui regardaient la marine, dans lesquels M. de La Touché était aussi consommé que novice dans ce qui concerne les affaires contentieuses et l'administration de biens, surtout aussi étendus que ceux de M. le duc d'Orléans.

Le roi vit avec peine la perte qu'il faisait de M. de La Touche; mais n'étant pas d'humeur à lui accorder le traitement que lui faisait M. le duc d'Orléans, lequel allait à cent mille francs par an, il le céda à ce prince qui augmenta par-là les sujets de mécontentement qu'on avait contre lui.

Madame la princesse de Lamballe, belle-sœur de M. le duc d'Orléans, sur-intendante de la Maison de la reine, autrefois son amie intime, et encore fort liée avec elle, venait d'arriver de VillersCoterets, où elle était allée joindre son beau-frère au moment de son exil. Madame de Lamballe n'eut rien de plus pressé que de m'entretenir du désir qu'elle avait de travailler à son rapprochement de Paris, quoique M. le duc d'Orléans lui eût témoigné peu de désir qu'elle se chargeât de ses affaires.

J'approuvais fort le dessein qu'elle avait de solliciter de nouveau la reine, qui l'a reçue assez froidement, lorsqu'elle avait essayé de lui parler en faveur de son beau-frère. Enfin elle fit tant, et l'on sollicita si fort l'archevêque de Toulouse, que M. le duc d'Orléans eut la permission de revenir au Rainci, à condition de ne pas approcher de Paris de plus de deux lieues, et de ne recevoir que les gens auxquels on avait permis d'aller à Villers-Coterets.

De plus, on exigea, pour marque de soumission plus forte, qu'il écrivît lui-même à la reine. Cette lettre l'embarrassa tellement, que le vicomte de Ségur l'écrivit pour lui.

Le parlement, toujours dans des dispositions de révolte contre l'autorité, tint plusieurs séances où il déploya tout ce que l'esprit de sédition, l'inconséquence et la mauvaise volonté peuvent inspirer. Ses arrêtés aboutirent à demander le retour des exilés, à faire des remontrances au roi, remettant à quinzaine l'examen de l'édit qui accordait un état aux protestans dans le royaume, mais insistant pour la suppression des lettres-de-cachet, afin d'embarrasser la cour par cette demande. Enfin il nomma des commissaires pour examiner cet édit, et pour faire taire les clameurs du public justement irrité du retard qu'il apportait à une décision aussi avantageuse pour le royaume, et depuis si longtemps désirée.

L'archevêque de Toulouse, d'une complexion délicate, qu'il avait épuisée par une vie peu sévère, beaucoup d'ambition et de travail, ne traînait une santé frêle, et ne combattait une humeur de dartre qui s'était jetée sur sa poitrine, que par un grand régime et trois cautères. Anéanti par des veillées répétées, aigri par les obstacles qu'il rencontrait de tous côtés, et travaillé par les inquiétudes, il tomba malade d'un gros rhume, accompagné de fièvre et de crachement de sang. Barthès, médecin en vogue, appelé par lui, déclara qu'il n'y avait que la plus grande tranquillité et l'éloignement de toute affaire qui pussent le sauver d'une mort prompte. Son frère, sa famille et ses amis le ra

menèrent à Paris, où le repos et le lait replâtrèrent le mal, plutôt qu'ils ne le guérirent. Il retourna à Versailles mieux portant, et reprit autant qu'il put, mais non pas comme il aurait fallu, le timon des affaires.

A peu de jours de-là, on fut fort étonné de le voir inopinément arriver chez le baron de Breteuil, à Paris, où M. de Crosne, lieutenant de police, fut mandé sur-le-champ. Rien ne transpira de ce qui s'était fait entre eux; les uns prétendirent qu'il s'agissait d'un mémoire de madame de Lamotte qui avait joué un si grand rôle dans le procès du cardinal de Rohan, et de la nécessité de le soustraire, d'autant qu'il aurait dévoilé bien des mystères; d'autres assuraient qu'il était question d'une madame de M***, non moins active que madame de Lamotte, cependant d'une étoffe plus relevée, puisqu'elle avait marié sa fille au duc de N***. En effet, deux jours après, il se répandit dans Paris qu'elle était à la Bastille, ce qui se trouva faux. Quelqu'un digne de foi m'a assuré qu'il savait positivement que madame de M*** avait été arrêtée dans sa maison, pendant trois jours, qu'on avait employés à retirer de ses mains des lettres de la reine, qui avait une correspondance avec elle.

Quoi qu'il en soit, cette course de l'archevêque de Toulouse lui causa une rechute, et fit même craindre pour sa vie. Son état incertain, l'impossibilité où il était de parler, l'état déplorable de sa

poitrine, apportaient autant d'incertitude dans les affaires, et leur étaient presque aussi préjudiciables.

L'archevêque fut quelque temps en danger; cependant, de son lit, il convoita la dépouille du cardinal de Luynes, dont la mort faisait vaquer l'archevêché de Sens et l'abbaye. Il obtint l'un et l'autre on y joignit une coupe de bois de neuf cent mille francs, pour payer ses dettes. On ne songea pas qu'on donnait une ample pâture à la haine, en prodiguant à celui qui retranchait à tous, et qui se faisait combler en parlant d'économie.

Enfin, après bien des remises, le parlement enregistra l'édit des protestans. Un siècle plus éclairé rendit un état à des citoyens que le fanatisme des précédens avait proscrits.

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