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mités, soit dans le conseil, avec la fermeté que leur inspirait le désir vrai de l'avantage du royaume, de la considération et de la gloire du roi. De tels gens ne pouvaient guère convenir à un prêtre qui veut régner, et à tous les nouveaux venus dont on a meublé le conseil, gens de petit esprit, de petites idées, de petits moyens.

Le maréchal de Castries, ayant obtenu tout ce qu'il pouvait désirer pour la fortune de son fils; dégoûté du ton du nouveau ministère; effrayé de la crise dans laquelle se trouvait la France, à laquelle il ne pouvait remédier que par sa voix dans le conseil; étant d'ailleurs sans crédit, fâché dans le fond de l'ame de voir ses espérances pour M. Necker, son ancien ami, détruites, et que la porte de l'administration lui fût fermée, avait pris le parti de demander sa retraite, et se servait du prétexte d'une incommodité très-grave. Il sollicitait le gouvernement de Flandre, vacant par la mort du maréchal de Soubise.

Le maréchal de Ségur était dans une position très-différente. Plus occupé, depuis sept ans qu'il était ministre, à rétablir l'armée, fort négligée dans toutes ses parties sous les ministères précédens, et surtout à y remettre un bon esprit, qu'à faire sa fortune et celle de ses deux fils, que leur jeunesse d'ailleurs ne mettait pas à portée d'obtenir de grandes grâces; le maréchal de Ségur, quoiqu'aussi dégoûté que M. de Castries, ayant aussi peu de

crédit, ne pouvait pas prendre le même parti, quelque désir qu'il en eût. Il se trouvait au moment du retour de son fils aîné, ministre du roi en Russie, où il avait conclu avec cette puissance un traité de commerce, ouvrage inutilement entrepris depuis trente ans. Il fallait donc, de préférence à tout, s'occuper de lui procurer les récompenses dues à un tel service; et un homme en place a toujours plus beau jeu pour les obtenir. Rester, attendre, était par conséquent la seule chose qu'il eût à faire. Voilà quelle était la situation du ministère.

L'archevêque de Toulouse, au lieu de faire aller le roi au parlement pour enregistrer des édits, dès le lendemain de la dissolution de l'assemblée des notables, au lieu de s'aider d'une telle démarche, toujours faite pour en imposer à un corps qui ne peut avoir de force et de défense qu'autant qu'il a prévu les événemens et combiné les moyens méthodiques de résistance, se contenta d'y envoyer l'édit du timbre, imposition nouvelle dont personne ne connaissait ni la nature ni la portée, d'ailleurs pleine d'inconvéniens et diffusément libellée, en un mot, plus faite pour être rejetée que discutée. D'après les dispositions du parlement et la nature de l'édit, il arriva ce qu'il était aisé de prévoir, c'est qu'il fut repoussé, et que des remontrances furent arrêtées. Mais ce dont on ne pouvait se douter, c'est que le parlement mit en avant une opinion toute nouvelle : il dit qu'il n'était pas compétent pour enregistrer

des impôts, ce qu'il avait fait à tort jusque-là; que ce droit n'appartenait qu'aux états-généraux du royaume, à la convocation desquels il priait le roi de se déterminer. Il oubliait, ou faisait semblant d'oublier, que les parlemens étaient états-généraux au petit pied. Il serait difficile de comprendre quel fut le motif d'un pareil arrêté; car le parlement, qui depuis tant de temps, en toute occasion, sous le prétexte de la défense du peuple, avait toujours cherché à s'immiscer dans l'administration, dans celle-ci semblait se dégrader en demandant des états-généraux qui anéantissaient son pouvoir.

Il y eut plusieurs assemblées de Chambres où les pairs furent convoqués. A mesure qu'elles se multipliaient, la licence dans les avis et l'insolence dans les propos et les arrêtés, malgré la présence de Monsieur et de M. le comte d'Artois, se portaient à leur comble, soutenues de l'opinion de plusieurs pairs, sans que la cour fît aucune démarche, aucun coup d'autorité pour arrêter un tel scandale.

Enfin le roi tint un lit-de-justice à Versailles. Il y fit enregistrer de force l'édit du timbre et la subvention territoriale, dont il n'avait pas encore été question, du moins juridiquement; car elle avait été suffisamment débattue dans l'assemblée des notables.

Préalablement à ce lit-de-justice, l'archevêque de Toulouse avait annoncé de grandes réformes,

tant sur les départemens que sur la maison du roi, qui devaient outre-passer les quarante millions qu'on avait promis aux notables. Et, comme dans cette opération on ne sait jamais que commencer par prendre sur les départemens et les bienfaits du roi, ce fut de ces objets que l'archevêque s'occupa, en y ajoutant des retranchemens de charges de la cour, même de la couronne, ce qui jusqu'à ce moment avait été sans exemple; espérant par là ramener les esprits du parlement, comme si de mesquines économies pouvaient suppléer aux bonifications réelles et promptes, à la satisfaction générale que produiraient des retranchemens lucratifs faits sur de grands objets, ainsi que sur le personnel et les goûts du roi.

Aux premiers bruits de retranchement sur les départemens, M. de Ségur, toujours empressé pour le bien de l'État, et d'y contribuer de tout son pouvoir, s'était occupé, sans en être requis, de toutes les diminutions possibles dans son département, sans réformer un seul homme, ni rien ôter à personne. Il était parvenu, d'après un état qu'il m'a montré, à diminuer la dépense de la guerre de huit millions par an; c'est-à-dire, de la restreindre à quatre-vingt-dix-sept au lieu de cent cinq où elle s'élevait ordinairement, toute dépense quelconque comprise. Dans cette position, il reçut une lettre de l'archevêque de Toulouse, qui lui envoyait l'état, remis aux notables, de la dépense an

nuelle du département de la guerre, qui se montait à cent quatorze millions, en lui demandant de s'occuper de retranchemens sur son département, bien entendu qu'ils ne porteraient que sur les quatorze millions excédant les cent, somme qu'il consentait de donner pour les dépenses affectées à la guerre.

Par cet échantillon, il sera facile de juger de la nature des états remis aux notables, et combien on peut rabattre des cent quarante millions où ils ont fait monter le déficit, et même des cent treize où le portait M. de Calonne, qui sûrement a voulu se donner de la marge. Il y a lieu de présumer qu'on a pris comme dépenses permanentes pour la guerre les dépenses de 1786, époque où le manque de fourrage a fait monter le total à une plus-value considérable, mais momentanée; comme il est certain qu'on a porté sur l'état des dépenses de la guerre des objets qui lui sont étrangers et qui regardent la finance. Il est probable aussi que les mêmes erreurs se sont glissées dans les autres états sur lesquels les notables ont travaillé, et qu'ils ont souvent regardé comme fixes des dépenses momentanées.

Il ne fut pas difficile à M. de Ségur d'effectuer la demande que lui faisait l'archevêque de Toulouse, puisqu'en se soumettant à retrancher les quatorze millions que l'archevêque désirait, il gagnait trois millions par an sur la réforme projetée, qui portait les dépenses du département de la guerre

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