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vous à en juger, à retrancher, modifier, ajouter ce que vous penserez être praticable ou non. Mon plan est bon; il m'a été dicté par l'attachement que j'ai le roi, par pour le roi, celui que j'ai pour ce pays-ci que je sers avec zèle depuis cinquante-sept ans, et par l'intérêt que je prends à votre gloire. Le roi renversé, l'ordre social l'est pour long-temps.

Suite des événemens. L'archevêque de Toulouse nommé ministre principal. Démission des maréchaux de Castries et de Ségur.

Ecrit en 1787.

M. DE LAMOIGNON me parut sensible à la marque d'amitié et d'intérêt que je lui donnais ; il fut frappé des vérités que contenait ma lettre, et déterminé à suivre le plan qu'elle renfermait, autant que la chose serait en son pouvoir. Car, quoique je lui eusse montré la possibilité de jouer le premier rôle, objet dominant qu'il faut toujours présenter lorsqu'on veut exciter quelqu'un, il s'en fallait bien que je pensasse, au fond, qu'il y parvînt, à moins d'événemens extraordinaires.

L'archevêque de Toulouse (1), nouvellement

(1) Avant de suivre le baron de Besenval dans le récit historique qu'il va présenter de l'administration de M. de Brienne, archevêque de Toulouse, l'un des ministres de Louis XVI qui ont le plus contribué à accélérer la révolution, le lecteur trouvera peut-être ici avec plaisir le jugement porté sur ce personnage par une femme célèbre (madame de Staël) dans ses Considérations sur la révolution française.

« M. de Brienne, dit madame de Staël, n'avait guère plus

parvenu ce qui procure toujours l'influence du moment), était l'ouvrage de la reine, soutenu par l'abbé de Vermond qui avait tout crédit sur cette

de sérieux réel dans l'esprit que M. de Calonne; mais sa dignité de prêtre, jointe aux désirs constans d'arriver au ministère, lui avait donné l'extérieur réfléchi d'un homme d'État, et il en avait la réputation, avant d'avoir été mis à portée de la démentir. Depuis quinze ans, il travaillait, par le crédit des subalternes, à se faire estimer de la reine; mais le roi, qui n'aimait pas les prêtres philosophes, s'était refusé constamment à le nommer ministre. Enfin il céda.....

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L'archevêque de Toulouse n'était ni assez éclairé pour être philosophe, ni assez ferme pour être despote; il admirait tour à tour la conduite du cardinal de Richelieu et les principes des encyclopédistes; il tentait des actes de force, mais il reculait au premier obstacle.... L'archevêque de Toulouse, arbitraire et constitutionnel tour à tour, était maladroit dans les deux systèmes qu'il essayait alternativement........... Battu comme despote, il se rapprocha de ses anciens amis les philosophes; et, mécontent des castes privilégiées, il essaya de plaire à la nation..... Il excita le tiers-état pour s'en faire un appui contre les classes privilégiées; le tiers-état fit dès lors connaître qu'il prendrait sa place de nation dans les étatsgénéraux.....

» Enfin l'archevêque de Sens (car c'était ainsi qu'il s'appelait alors) acheva d'exaspérer toutes les classes, en suspendant le paiement d'un tiers des rentes de l'Etat. Alors un cri général s'éleva contre lui; les princes eux-mêmes allèrent demander au roi de le renvoyer, et beaucoup de gens le crurent fou, tant sa conduite parut misérable. Il ne l'était pas cependant, et c'était même un homme d'esprit dans l'acception commune de ce mot; il avait les talens nécessaires pour être un

princesse; d'ailleurs, pour ainsi dire, désigné premier ministre, puisque, sans détail de département, il avait le dominant, celui de la finance, influant d'autant plus sur tous les autres, qu'ils étaient également pressés par la circonstance, je veux dire le manque d'argent, et la nécesité de s'en procurer; l'archevêque, dis-je, consommé dans l'intrigue et dans l'art de captiver les femmes qu'il pratiquait depuis sa jeunesse, tant pour ses plaisirs que pour sa fortune, avec autant d'avantages et de moyens, ne pouvait manquer de dominer la reine, et par conséquent le roi que la tendresse et l'habitude attachaient comme l'amant le plus soumis. Il aurait pris toute l'autorité dès les premiers instans, sans les obstacles qu'il a rencontrés sur sa route, et les soupçons d'incapacité qui se sont bientôt répandus dans le public sur son compte.

J'ai déjà dit ci-devant, dans le récit qui suit ma

bon ministre dans le train ordinaire d'une cour. Mais quand les nations commencent à être quelque chose dans les affaires publiques, tous les esprits de salon sont inférieurs à la circonstance; ce sont des hommes à principes qu'il faut. Il n'y a que les grands traits du caractère et de l'ame qui, comme la Minerve de Phidias, 'peuvent agir sur les masses, en étant vus à distance. Ce qu'on appelle habileté, selon l'ancienne manière de gouverner les États du fond des cabinets ministériels, ne fait qu'inspirer de la défiance dans les gouvernemens représentatifs. >>

(Note des nouv. edit.)

lettre au comte de Ségur, que ce furent MM. de Lamoignon, de Breteuil et de Montmorin qui proposèrent au roi de mettre l'archevêque de Toulouse à la tête des finances. Il serait difficile de dire si ce fut en sentant qu'ils se donnaient un maître, qu'ils firent cette démarche; ou si, entraînés par la nécessité, et s'oubliant, ils n'ont songé qu'aux besoins de l'État. Depuis cet instant, leur conduite à chacun en particulier a été fort différente en public comme en particulier; M. de Montmorin a paru asservi à l'archevêque. La manière d'être du baron de Breteuil est si réservée, qu'il est impossible de pénétrer ce qu'il pense. M. de Lamoignon est si ouvert et si franc dans son maintien (du moins en apparence), non-seulement avec l'archevêque, mais encore avec tous les autres ministres, qu'il donne lieu de juger qu'il ne veut que le bien de l'État, sans acception de personne, sans prendre part aux intrigues. D'ailleurs le garde-des-sceaux ayant, pour ainsi dire, un département à part, et n'étant point obligé de porter son portefeuille chez un premier ministre, il est moins dans le cas d'en être choqué que les autres. Ce n'est que par la suite qu'on pourra porter un jugement sain sur tout ceci.

Quant aux deux maréchaux, de Castries et de Ségur, ils ne se démentirent point de ce caractère de noblesse, de franchise et de loyauté, dont ils ne se sont pas écartés un instant depuis qu'ils sont dans le ministère. Ils ont parlé, soit dans les co

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