Page images
PDF
EPUB

Le lendemain, l'archevêque de Toulouse fut nommé chef du conseil des finances, place que M. de Vergennes avait laissée vacante, et il entra au conseil d'État.

Quelques jours après, le roi fit demander sa démission à M. de Fourqueux, qui n'avait pu jouer qu'un rôle aussi court que terne; on le laissa pourtant au conseil, et M. de Villedeuil, intendant de Rouen, fut nommé contrôleur-général, toutefois subordonné à l'archevêque. M. de Villedeuil, fils du fameux mécanicien Laurent, jouissait de la réputation d'un homme d'esprit et de talent, bien qu'il n'eût guère que de la superficie. Il avait eu du succès dans l'assemblée des notables, surtout en attaquant avec force et vérité les intendans, quoiqu'il le fût lui-même.

Le déficit dans les revenus du roi n'a jamais été bien constaté; M. de Calonne l'avait annoncé monter à cent treize millions, et plusieurs notables l'avaient trouvé tel, tandis que d'autres l'élevaient à cent quarante, chose impossible à vérifier: car, lorsque le roi se fut laissé contraindre à donner des états, on les lui apporta tous, et il fit lui-même le triage de ceux qu'il voulait bien montrer aux notables, et de ceux qu'il lui plut de leur soustraire, et qui apparemment contenaient ou des dons ou des déprédations. Ceux-là passèrent pour déficit permanent, tandis que ce n'étaient que des dépenses du moment, qui ne devaient pas se renouveler.

Quoi qu'il en soit, je suis surpris qu'il ne soit venu dans la tête de personne de faire un raisonnement bien simple que voici. La guerre qu'on venait de faire contre les Anglais avait coûté quatorze cents millions; or cent quarante millions, auxquels un grand nombre de notables faisaient monter le déficit, étaient juste l'intérêt à dix pour cent de ces quatorze cents millions. On pouvait même ajouter que c'était de l'argent bien employé ; car avec cette somme on avait fait dépenser deux milliards quatre cents millions aux Anglais, et perdre un grand tiers de leurs forces, pour ne pas dire la moitié. Je ne sais pas ce que le notable le plus mal intentionné aurait pu répondre à ce raisonnement.

Ces notables, dont l'archevêque de Toulouse, sans paraître, avait dirigé l'esprit d'opposition et de licence, continuaient, avec plus de véhémence encore, d'élever leurs prétentions; mais ce qui avait servi à l'ambitieux ne pouvait plus convenir au parvenu, forcé d'adopter, quand bien même ce n'aurait pas été son vou, des principes absolument opposés à ceux qu'il avait inspirés, qu'il n'osait pourtant dévoiler trop fort, pour ne pas paraître si subitement en contradiction avec lui-même. Aussi l'archevêque ne laissa subsister une assemblée si embarrassante pour lui, que le temps qu'il ne put refuser à la décence de sa position. Dès qu'il crut le pouvoir, il indiqua l'assemblée générale pour terminer.

Tous les conjurés se virent avec chagrin réduits à rentrer dans la classe ordinaire, et à ne plus faire que nombre dans celle des frondeurs dont la société abonde. Les gens sensés (il y en avait aussi parmi les notables) furent ravis d'être délivrés de la gêne de siéger parmi des individus qui, loin d'avoir en vue le bien de l'État, le respect et l'amour pour le maître, n'étaient excités que par l'esprit de rébellion, l'esprit de parti, et le désir d'attenter à l'autorité royale.

La séance commença par un discours du roi, qui fut suivi de dix autres. Celui de M. de Lamoignon réunit tous les suffrages, et les méritait. Il était d'un style noble, clair, et rappelait l'obéissance due au roi. Celui de M. de Nicolai, premier président de la Chambre des comptes, eut aussi du succès, quoiqu'il sentît l'homme de robe qui cherche des citations dans l'histoire ancienne. Celui de M. d'Aligre, premier président du parlement de Paris, fourni par une plume adroite, attendu la nullité de ce magistrat, ne concluait rien, comme cela devait être, et réservait à sa compagnie le droit de parler lorsque le moment en serait venu. Je suis surpris qu'il n'ait pas fait plus d'effet. Celui de M. de Dillon, archevêque de Narbonne, n'était qu'une capucinade; je le cite parce qu'il est étonnant qu'un homme qui avait acquis, à tant de titres, la réputation d'éloquence et de facilité à parler en public, se soit oublié au point de faire une misérable dé

clamation sans idées. Peut-être que, n'étant pas sorti, pendant toute l'assemblée, du rôle de factieux emporté, il s'est trouvé embarrassé de proférer les mots de respect, de soumission, d'amour pour le roi, de désir du bien et de la gloire de l'État, qu'on prodigue à chaque phrase dans une assemblée et dans des discours de cette nature; et que, ne sachant comment faire, il a appelé à son secours la religion, dont il se passait ailleurs, qui certainement ne lui en doit aucun, et qui en vérité n'avait que faire là.

Celui de l'archevêque de Toulouse avait dû lui coûter; car, obligé de parler en ministre du roi, il ne pouvait pas cependant s'empêcher de flatter beaucoup les notables, après les avoir guidés, et après les services qu'ils lui avaient rendus. Aussi n'at-on pas trouvé extraordinaire qu'il n'ait rien négligé sur cela; mais il pouvait se dispenser d'engager autant le roi, et ne pas parler aussi positivement sur une infinité d'objets. La suite fera voir si l'instant l'a emporté, ou si, en effet, il est imbu de la manic actuelle d'assimiler le Gouvernement français à celui d'Angleterre.

LETTRE

Du baron de Besenval à M. de Lamoignon, gardedes-sceaux, en date du 29 juillet 1787.

Vous avez trop de part à l'administration, pour ne pas être instruit mieux que moi de l'obstruction que la fermentation actuelle occasionne dans toutes ses parties. Vous avez trop de lumières pour ne pas sentir à quel point de décadence va tomber la prépondérance de la France, dans l'opinion de l'étranger, par la connaissance qu'on lui a donnée, non pas de l'état du royaume, qui certainement est florissant, mais de celui des finances du roi, et de l'esprit d'opposition qui règne sur ses sujets. Vous vous dites sûrement que chaque jour d'incertitude et de retard ajoute aux maux actuels, et qu'on a même passé l'époque où il était de nécessité de prendre un parti. Il ne paraît pas que celui (1) qui veut s'emparer du timon des affaires, soit frappé de cette vérité. Sa conduite, jusqu'à cette heure, n'annonce ni plan formé, ni vigueur dans ses résolutions.

Si vous vous rappelez la première conversation

(1) L'archevêque de Toulouse.

« PreviousContinue »