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ployer son crédit pour servir personne, qui au contraire lui dit sans cesse du mal de tout le monde.

Si l'abbé de Vermond a travaillé à porter l'archevêque de Toulouse à la tête des finances, il a bien changé de façon de penser. Car il y a environ douze ans, dans le temps que la reine m'écoutait, et que mon attachement pour elle me rendait sans cesse attentif à ce qui pouvait contribuer à sa gloire (et sa gloire est attachée, sans contredit, à procurer des avantages à notre pays, devenu le sien); il y a douze ans, dis-je, que je lui proposai de faire l'archevêque de Toulouse contrôleur-général. Elle adopta d'abord cette idée, puis la rejeta par le conseil de l'abbé de Vermond, ainsi que je l'ai su de la duchesse de Polignac à qui la reine l'avait dit. Cette ingratitude pour l'homme à qui il devait tout, m'a donné plus mauvaise opinion de lui, que tout ce que je n'ai cessé d'en apprendre depuis.

Le sacrifice de M. de Calonne, à tort ou raison, était certainement le plus mauvais parti que le roi pût prendre. Il ne fallait pas être bien éclairé pour démêler le motif de la conduite des notables depuis le moment où ils furent assemblés. Le clergé, aussi grièvement attaqué, avait d'abord tout mis en usage pour parer le coup qu'on voulait lui porter. Plus subtil et plus instruit que la noblesse, il en avait entraîné une grande partie à se conduire d'après l'impulsion qu'il donnait. A cet esprit d'opposition s'était joint, comme je l'ai déjà dit, l'es

prit de parti, tous désirant le renvoi de M. de Calonne, pour mettre à sa place l'homme que chaque association avait en vue. La douceur avec laquelle M. de Calonne et le roi souffrirent les premières incartades, ne firent qu'en accroître l'audace.

Le renvoi de M. de Calonne fit apprécier le caractère du roi; et, dès cet instant, les prétentions et la ténacité des notables n'eurent plus de bornes.

Je trouve que le roi, par la faiblesse de sa conduite, s'était mis absolument dans la situation de Charles I, après qu'il eut sacrifié le comte de Straffort.

Il me semble qu'on ne peut mieux peindre l'assemblée des notables, qu'en disant que c'est une tragédie représentée par des acteurs de comédie. Avec une nation moins légère que celle-ci, le roi reprendrait difficilement son autorité, seul maintien de la tranquillité dont on a joui long-temps. Cependant j'aperçois s'avancer à grands pas des momens orageux, dont il y a long-temps que j'ai entrevu le germe par la morale des philosophes, et que l'anglomanie, qui s'est emparée des Français, a développé.

Le roi porta lui-même la quatrième section du plan de M. Calonne aux notables, dans une assemblée générale. Il y parut sur son trône. Il y lut un discours qu'on dit être de lui, quoique cela fût très-faux, qui d'abord eut un grand succès, et qui

bientôt fut critiqué. La reine était à une fenêtre du château, dans une grande impatience d'apprendre des nouvelles de la séance.

Du plus loin que Monsieur, qui était dans le carrosse du roi, put en être aperçu, battant des mains, il fit comprendre que tout avait été au mieux ce qui lui causa une telle joie, que tout le reste de la journée elle combla de caresses tous les notables qu'elle vit, comme pour les remercier de la bonté qu'ils avaient témoignée au roi. Il faut convenir qu'il y a peu d'exemples d'une pareille faute.

Dès le lendemain, les bureaux reprirent leurs travaux. Mais, ayant besoin à chaque instant d'éclaircissemens, ils s'adressaient à M. de Fourqueux, qui ne pouvait que leur répondre qu'il était dans l'impossibilité de leur en donner, puisqu'il arrivait en place et n'était au fait de rien. Ce manque de lumières n'était pas propre à avancer les affaires; d'ailleurs les prétentions des notables vis-à-vis du roi allaient toujours en augmentant. Cependant le moment pressait; car, d'après ce qui se passait à Versailles, le discrédit était à son comble. Les effets publics baissaient journellement sur la place; il ne se faisait pas pour un sou de négociations à la bourse, et les particuliers ne portaient plus d'argent, ni chez les trésoriers, ni au Trésor royal. Enfin les gardes du Trésor royal étaient venus avertir que, si avant quinze jours il n'y avait pas

un parti pris, il fallait le fermer, attendu qu'on n'aurait plus de quoi faire face aux paiemens.

Il était pourtant extraordinaire de voir le roi prêt à faire banqueroute, dans un instant où la France était si florissante, la population au degré le plus désirable, l'agriculture et l'industrie poussées à leur comble, et Paris regorgeant d'argent. Telle est la suite inévitable d'une mauvaise administration sans principes et sans suite, de déprédations en tous genres, et d'un gouvernement faible qui n'offre pas un point de ralliement. Je crois bien aussi qu'on faisait le mal plus grand qu'il n'était, parce que montrer la perte inévitable, quelques ressources qui restassent, c'était assez indiquer qu'il fallait mettre en place un homme capable qui ramenât le crédit. Effrayer, était également le jeu du parti de M. Necker et de celui de l'archevêque de Toulouse.

Certainement M. Necker était le plus propre à rétablir la confiance, à ramener l'argent: mais le roi était convaincu qu'il fallait lui céder son trône, s'il le rappelait, et le roi avait raison. D'ailleurs la reine était pour l'archevêque de Toulouse; et, ne voulant pas apparemment se montrer, elle envoya chercher M. de Lamoignon pour lui parler de la situation des affaires; et sans lui nommer l'archevêque, elle insista sur la nécessité de prendre un parti.

Dès le jour même, M. de Lamoignon étant chez

le baron de Breteuil, M. de Montmorin y arriva ; on discuta la situation présente : ils tombèrent tous trois d'accord qu'il fallait quelqu'un de poids aux finances, et capable de les conduire. Connaissant la répugnance du roi pour M. Necker; d'ailleurs, ne se souciant peut-être pas d'avoir dans le ministère un homme opiniâtre et vain; de plus, n'ignorant pas le vœu de la reine, ils se déterminèrent pour l'archevêque de Toulouse, et montèrent surle-champ chez le roi pour le lui proposer. Soit que le roi fût disposé par la reine, ou fût déterminé par la circonstance, il l'accepta, ne cachant point d'ailleurs à ces messieurs qu'il avait eu de fortes préventions contre l'archevêque.

Quoique M. de Ségur fût à Versailles, ces trois ministres ne l'associèrent point à leur démarche. J'en fis des reproches à M. de Lamoignon qui me dit que le hasard les ayant rassemblés tous trois chez le baron de Breteuil, la conversation s'était engagée sur la position actuelle, et que les avis s'étant réunis pour l'archevêque de Toulouse, ils s'étaient tellement échauffés de cette idée, qu'ils avaient pris le parti d'aller tout de suite chez le roi, chose si peu prévue qu'il avait été forcé, lui, d'envoyer chercher une simarre pour paraître devant S. M. La chose pouvait être vraie, comme elle pouvait être une défaite; aussije me contentai de répondre à M. de Lamoignon que la suite me prouverait jusqu'à quel point je devais ajouter foi à ce qu'il me disait.

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