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du bataillon qu'il commande, et dont il a bien de la peine à se faire entendre; un major, plutôt aidede-camp du colonel commandant que chargé de quelque chose. En tout, trois hommes à cheval. Si l'un des trois est hors de combat, ou les trois, ce qui peut fort bien être, il est impossible de les remplacer; car chaque officier est tellement et si utilement employé dans son poste, que déplacé il rendrait inutile le tout, par le calcul relatif de chaque individu à l'effet général d'un régiment.

Vous allez peut-être me demander si mon intention est de vous porter à rétablir les officiers-majors qu'on vient de détruire, et par cette conduite, aussi légère qu'inconséquente, jeter du ridicule et du mépris sur le travail immense de la refonte du militaire qu'on a entrepris. Je suis bien loin de cette idée, et si par hasard quelqu'un était assez dénué de sens pour vous la proposer, je serais le premier à m'élever contre, attendu qu'elle serait entièrement opposée à mes principes. Mais en rejetant cette voie, j'en adopterais une autre qui tendant au même but, sans déroger à ce que vous venez d'établir, procurerait certainement de plus grands avantages.

Nous aurons beau faire lorsque nous voudrons atteindre le point de perfection possible, il en faudra venir aux chemins que le roi de Prusse nous a frayés. Il ne s'est jamais écarté de la loi qu'il s'est prescrite par ses ordonnances; mais sans les changer, il a

remédié aux vices qu'il a reconnus; et ce sont peutêtre les mêmes réflexions que je vous mets sous les yeux, qui l'ont porté, sans toucher à son état de formation, à attacher indéfiniment, et à sa volonté, des lieutenans-colonels et des majors à ses régimens. Par cette méthode, il a mis autour de son infanterie

un grand nombre de gens à cheval, chose que je

considère comme capitale pour cette arme; et pendant une bataille il s'est procuré un nombre suffisant d'officiers supérieurs de remplacement, sans apporter aucun trouble ni dérangement dans l'ordre intérieur.

Si ces raisons ont déterminé le roi de Prusse à cette méthode, combien la France n'en a-t-elle pas de l'adopter? Dans ce pays-ci, ce ne sont que les gens de qualité ou les hommes favorisés qui parviennent à la tête des corps. Tout le reste de la noblesse est condamné à languir dans la subalternité, pour atteindre, souvent hors d'âge, la lieutenance - colonelle, et finir avec le grade de lieutenant de roi dans une place. Il faut considérer que la perspective, en comparaison des prétendans, est pour le moins d'un à cent, et l'on s'étonne de ne voir pas plus d'émulation parmi l'officier français ! pour moi, je suis bien plutôt surpris de la fureur indéfinissable de la noblesse française pour le service, que je ne puis attribuer qu'à l'ange tutélaire qui veille sur ce royaume. Mais plus il est extraordinaire que ce prestige subsiste, plus il est d'une bonne adminis

tration de le maintenir. Je vous en indique le chemin, en ouvrant celui qui conduit au seul point de vue que puisse avoir un gentilhomme français sans protection, et le plus souvent inconnu.

Il y a d'autant moins d'inconvéniens à ce que je vous propose, que mon idée, bien loin de déranger le régime que vous venez d'établir, y concourt, et qu'elle rectifie la faute qu'elle a peut-être faite, de retrancher les officiers-majors. Pour que ce nouvel appât offert à l'ambition ne tourne pas les têtes, et ne dégoûte pas de la subalternité, par plus de facilité d'en sortir; en même temps pour éviter de vous jeter dans une dépense trop considérable, n'annoncez point votre arrangement par une ordonet faites vos lieutenans-colonels et vos majors, suivant que vous trouverez des sujets dignes de l'être, et selon vos moyens.

nance,

Le tableau que je vous présente ne vous offre encore que celui des moyens intérieurs d'un régiment et d'une ligne. Voyons maintenant les moyens de l'armée que je prends en présence de l'ennemi et au moment de livrer bataille: considération qui n'est jamais peut-être entrée dans la tête d'aucun militaire en France, du moins à en juger par ce qui existe.

Un général, qui communément a le temps de faire ses dispositions d'attaque et de défense, et sur qui roulent entièrement tous les préliminaires, ne le peut que jusqu'à l'instant que l'affaire commence :

car alors ce général, se portant indifféremment sur les lieux dominans d'où l'on peut observer ce qui se passe, est communément trop éloigné des endroits, d'un front immense, qui ont besoin de ses ordres pour les y faire parvenir à temps; de même, les places qu'il occupe, n'étant point marquées par quelque signe qui s'aperçoive au loin, les gens qui ont des nouvelles à lui porter, ou des ordres à lui demander, perdent un temps considérable, et surtout irréparable, à le chercher; par conséquent, pendant une bataille, la relation si nécessaire du chef avec ses subordonnés, est fautive, pour ne pas dire impossible.

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Des généraux de division pris par ancienneté, par conséquent au hasard, et qui, par les inconvéniens que je viens de détailler, ne peuvent avoir de communication avec le général; obligés de se déterminer d'eux-mêmes; ayant sous eux une foule d'officiers-généraux, dont le plus grand nombre, employés par faveur, sont d'une ignorance profonde, peut-être troublés du moment, voilà pourtant comment et par quels moyens les armées françaises s'engagent dans des affaires, avec des troupes telles qu'on en a vues, qui ne savaient pas se mettre en bataille.

Le maréchal de Saxe est le seul qui ait senti ces inconvéniens et qui ait cherché à y parer. Il est aisé de le prouver par les réponses qu'il fit à M. d'Argenson, lorsque ce ministre le consulta, par lettres,

T. II.

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sur quelques ridicules essais de maniement d'armes, qu'on avait fait voir au feu roi, seule instruction qu'on connût alors pour l'infanterie. Le maréchal, dans sa réponse, sans dénigrer l'objet de la recherche, mais sans vouloir entrer en discussion sur cette inutile matière, passe tout de suite au seul parti qu'on peut tirer d'une armée française, dont toute la force consiste, selon lui, dans l'impulsion. 11 pense que jamais on ne pourra en obtenir assez de discipline, d'instruction et de sang-froid, pour oser la faire manoeuvrer; d'où il conclut que tout général, qui la commandera, ne doit jamais donner de batailles rangées, mais les réduire toujours en affaires de poste, et sur cela il cite les siennes dirigées d'après ce principe, et qui lui ont réussi.

Le roi de Prusse, dans la guerre de sept ans, comme on l'appelle chez lui, et que nous désignons par la dénomination de guerre de 1756, a déployé, aux yeux de l'Europe étonnée, tout ce que la discipline, l'instruction et l'art peuvent pour ajouter aux forces et fixer le succès. Les nations ont cherché à l'imiter, et se sont plus ou moins avancées dans la route qu'il a ouverte. La France, ainsi que les autres puissances, a senti qu'il fallait sortir de sa routine, et voilà vingt-quatre ans que les faiseurs nous ont fait perdre par leurs éternelles recherches et changemens sur la formation et les ordonnances de tactique.

Je suis bien sûr que, si vous restez en place, nous

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