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que je la suppliais de me dire les rapports qu'on pouvait lui avoir faits de moi, parce qu'il me serait bien aisé de les détruire.

La reine, qui s'était enfoncée dans un sofa lorsque j'étais entré chez elle, et qui avait mis un mouchoir sur ses yeux, malades d'une fluxion, me répondit avec un embarras qui l'empêchait presque d'articuler: On ne m'a rien dit contre vous, je suis toujours la même ; et elle s'en tint à ce peu de mots. J'insistai; mais, ayant encore eu la même réponse, je sentis l'impatience me gagner, et craignant qu'elle ne m'emportât trop loin: Madame, lui dis-je, Votre Majesté me fait sentir qu'il faut m'en tenir au respect que je lui dois, et que ce serait m'en écarter que de l'importuner plus long-temps. Je lui fis une profonde révérence, et je me retirai.

Je rendis compte à la comtesse Jules de l'explication que je venais d'avoir avec la reine, et de la manière dont elle s'était terminée. Elle m'apprit qu'elle en avait eu une de son côté, dont l'issue avait été bien différente: car, à la première question qu'elle avait faite sur le motif du froid dont elle s'était aperçue, la reine lui avait prodigué les choses les plus tendres qu'elle avait même accompagnées de larmes, et elles s'étaient séparées plus unies que jamais.

A deux jours de-là, la reine me dit de venir chez elle l'après-dînée. La comtesse Jules s'y trouva en tiers; j'y fus tout comme à mon ordinaire, sans

avoir l'air de me souvenir de tout ce qui s'était passé. La dissimulation est le grand art des courtisans les rois ne pardonnent point aux gens avec lesquels ils ont eu tort et qui les embarrassent; ils savent gré au contraire à ceux qui, par leur façon d'être, leur donnent le moyen de se persuader qu'on ne s'est pas aperçu des reproches qu'on aurait à leur faire. Voilà le meilleur moyen pour tous ceux qui visent à la faveur ou qui veulent la

conserver.

Assez tranquille sur celle dont je jouissais, je fis dans cette occasion, par indifférence, ce que beaucoup d'autres auraient fait par calcul. Je m'étais pourtant bien promis, après ce que je venais d'éprouver, de régler ma conduite sur celle que la reine aurait avec moi; je le répète, plus loyal et plus droit qu'on ne l'est à la cour, je ne pouvais avoir que ce tort-là. Je parlai à la reine avec cette assurance que donne toujours la pureté de l'intention; je l'attaquai de nouveau sur le ministère de la guerre; je la poussai même avec chaleur, au point, qu'ayant long-temps éludé mes questions, elle me dit enfin avec une sorte d'impatience: Il est cruel d'être obligé d'entendre tout ce que vous me dites, et d'être dans l'impossibilité d'y répondre.

En sortant de cet entretien, qui dura plus de deux heures, la comtesse Jules me confia, sous le secret, que le ministre de la guerre était nommé ; que cela s'était fait de concert avec la reine, mais

qu'on lui avait fait donner sa parole qu'elle n'en ouvrirait pas la bouche. Je vis de ce moment que ce ne serait pas M. de Castries; que, n'osant braver la reine, on avait cherché à la gagner, et qu'on

y

était parvenu. Je fis quelques questions à la comtesse Jules sur le refroidissement de la reine, auxquelles elle ne put me répondre, m'assurant qu'elle en ignorait le motif; je n'ai jamais pu l'approfondir : il est vrai que je ne me suis pas donné grand mouvement pour le savoir. Quand on est sans ambition, qu'on ne veut rien, qu'on se trouve à la cour sans l'avoir désiré, et que la gêne de la faveur se fait plutôt sentir que ses agrémens, on la perd sans regret, et l'on attend patiemment que les circonstances dirigent la conduite qu'on doit embrasser.

La seule chose qui soit venue à ma connaissance, c'est ce que m'a dit le prince de Ligne quelques mois après. Il me confia que la reine lui avait beaucoup parlé de moi; qu'on m'avait fait des méchancetés auprès d'elle, qui lui avaient fait prendre de mauvaises impressions sur mon compte, mais qu'elle rendait justice à ma droiture. Quelques mots échappés devant moi m'ont fait soupçonner que le chevalier de Luxembourg et le duc de Coigny (un peu faux, sous de loyales apparences) avaient pu me nuire. Cela ne m'affecta pas un moment : ce qui vient de nos amis ou de notre intime société doit nous blesser; le reste est indifférent. Il vaut

mieux ignorer les noirceurs, qu'avoir la peine de hair et celle de se venger.

De ce moment, la reine ne me vit plus tête à tête dans son intérieur. Elle continuait à me traiter parfaitement bien, même avec distinction en public; mais il était aisé de s'apercevoir que ce n'était plus avec cette bienveillance qui avait occasioné tant de jalousie. Cette nuance n'échappa point aux regards curieux et pénétrans de la cour; mes amis me faisaient des questions. Ce n'était plus le même empressement de tout le monde ; et chaque jour on débitait de nouveaux propos, dont j'étais instruit par ces rediseurs subalternes dont les cours abondent toujours. Mon rôle était assez difficile à jouer; il ne fallait être ni bas, ni insolent, ni embarrassé, ce qui aurait été plat, ni trop assuré, ce qui aurait eu l'air de braver. Revenir à Paris m'aurait mis à l'abri d'être en spectacle, mais quitter Fontainebleau, dans cette circonstance, aurait accrédité mille contes ridicules sur le refroidissement de la reine ; d'ailleurs, la façon dont elle me traitait encore exigeant que je né m'en éloignasse pas, je pris le parti de demeurer à là cour, et c'est avec quelque satisfaction que je me rappelle la conduite que j'ai tenue dans une occasion aussi délicate.

Le ministre de la guerre n'était point nommé; ce qui donnait lieu à tout plein de conjectures. Chacun faisait le sien, et personne n'approchait seulement de celui qui avait été choisi. J'en parlai une

ou deux fois à M. de Maurepas, qui ne me répondit que par des plaisanteries. Enfin quelqu'un m'apprit en confidence, et à mon grand étonnement, que c'était M. de Saint-Germain, choix bien digne des deux hommes qui avaient jeté les yeux sur lui; je veux dire M. Turgot et M. de ***, qui, craignant également tout homme qui, par sa consistance ou par ses entours, aurait pu leur causer des ombrages, imaginèrent d'aller chercher M. de Saint-Germain, isolé, tombé dans l'oubli, existant dans une petite maison d'Alsace, où une banqueroute qu'il avait essuyée l'avait relégué, et où il vivait d'une pension que le roi voulait bien lui donner. Voilà l'homme qu'ils firent adopter à M. de Maurepas, quelque incroyable que fût la proposition, et d'autant plus aisément, que sans jamais calculer ni le mérite, ni les talens nécessaires à la place où il fallait nommer, M. de Maurepas prenait toujours de préférence, ou des gens médiocres, ou de ces hommes sans soutien que leur position ou leur intérêt mettait entièrement dans sa dépendance.

M. de Saint-Germain, bien loin de prévoir la fortune qui l'attendait, avait adressé, de sa retraite, un mémoire à M. de Maurepas, sur le militaire de la France; mémoire qu'il avait négligé sans le lire, mais dont il se ressouvint dans cette circonstance, et que lui, le roi, M. Turgot et M. de *** jugèrent un ouvrage parfait, quoiqu'il ne fût qu'un système établi, à la vérité, sur d'assez bons principes, mais im

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