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ble de rédiger l'arrêt. C'est toujours un travail qui demande du temps : cela fut cause que l'exécution de madame de Lamotte fut différée. Dans la disposition où étaient les esprits, ce retard donna prétexte à mille propos qui n'étaient pas à l'avantage de la cour.

Dans tout le cours du procès, madame de Lamotte, tant dans les interrogatoires que dans les confrontations, avait montré un caractère si emporté, tant de violence dans ses réponses, ses actions, ses récriminations, qu'on usa d'adresse lorsqu'il fut question de la livrer au bourreau.

Elle avait pris en amitié et en confiance la femme du geôlier. Le jour arrêté pour l'exécution, cette femme lui fit dire, à six heures du matin, qu'il venait d'arriver un homme à cheval avec des lettres pour elle. Madame de Lamotte était encore au lit. Elle se leva avec précipitation. A peine sortie de sa chambre, elle fut saisie par des hommes qu'on avait apostés. Se doutant de ce qui allait arriver, elle devint furieuse, se défendit, se débattit de telle manière pendant toute l'exécution, que le bourreau ne put la bien marquer que sur une épaule, et ne fit qu'effleurer l'autre. A travers les hurlemens qu'elle poussait, on entendit : C'est ma faute, si j'éprouve cette ignominie je n'avais qu'à dire un mot, et j'étais pendue. Mise dans un fiacre pour être conduite à la Salpêtrière, une des portières s'ouvrit, et les gens qui étaient avec elle n'eurent que le

temps d'avancer les bras pour s'opposer à l'élan qu'elle avait fait pour se jeter sous les roues. Arrivée à l'Hôpital, elle se précipita sur la couverture de son lit, qu'elle essaya de s'enfoncer dans la gorge pour s'étouffer.

Pendant tout le cours du procès, le maréchal de Soubise avait obtenu la permission de ne point se trouver au conseil d'État. Le jugement prononcé, il fit demander celle d'y revenir. Le roi lui fit dire qu'il n'en était pas encore temps, qu'il le ferait avertir, mais qu'il ne fallait pas que cela fût long. D'autres prétendent qu'il revint tout simplement sur la permission qu'il en demanda; qu'enfin, sentant le rôle qu'il jouait, et qui ne pouvait que devenir plus pénible par la décadence de sa maison, il ne tarda pas à s'en retirer.

Beaucoup de prétendans se mirent sur les rangs, et demandèrent la grande-aumônerie. Le public, accoutumé à voir les Talleyrand obtenir tout ce qu'ils désiraient, imagina que ce serait l'archevêque de Reims, de cette maison, qui l'emporterait. Mais le roi nomma l'évêque de Metz, frère du maréchal de Laval.

L'amitié de la reine pour la duchesse de Luynes, nièce de l'évêque et dame du palais, ne contribua pas peu à cette nomination. On s'étonna que l'évêque de Metz, à son âge, aimant autant sa campagne de Frescati, où il avait fait beaucoup de dépenses, et qu'il avait rendue un séjour charmant,

abandonnât ce goût et la vie libre qu'il menait, pour venir se faire esclave à la cour. Tient-on quelque âge qu'on ait, à ne pas avoir la première place de son état? et n'est-on pas toujours assez dupe pour tout sacrifier à cette idée ?

On prétend que le roi exigea de l'évêque de Metz de renoncer à devenir jamais cardinal, S. M. voulant détruire cette qualité dans son royaume. Cela serait parfaitement bien vu. Quoi de plus indécent, de plus contraire au bon ordre, que de voir un sujet s'élever à un titre qui l'égale aux princes du sang, et l'État obligé de lui donner au moins cinquante mille écus de rente pour soutenir son faste, sans autre avantage que la gêne de ménager le pape pour en obtenir des nominations (1) ?

(1) Nous avons offert, dans le troisième volume des Mémoires du marquis de Ferrières, quelques détails historiques sur le fameux procès du collier, et particulièrement sur madame de Lamotte. Nous y renvoyons le lecteur. (Livre XI, page 70.)

(Note des nouv. édit.)

T. II.

12

Lettre du baron de Besenval au maréchal de Ségur, ministre de la guerre, en date du 6 novembre 1786.

Mon ami, lorsque j'ai cherché à vous porter au ministère, je n'ai cessé de répéter à ceux qui pouvaient y influer, ce que je leur avais dit dès les premiers momens, que vous étiez le seul capable de tirer le militaire du chaos épouvantable où vos prédécesseurs l'avaient mis, par l'esprit d'ordre que vous avez et qui vous a fait sentir la nécessité d'établir des principes; par la connaissance des détails qui vous en feraient choisir de bons, et par la fermeté de votre caractère qui ne vous en ferait départir par aucune considération. Vous avez tenu sur cela, plus même que je n'avais promis; et au bout de cinq ans de ministère, sans entrer dans des détails particuliers, vous avez mis les choses, non pas peut-être au point où elles devraient être, mais enfin où il est possible de les porter dans ce pays-ci en aussi peu de temps, partant du désordre incroyable où vous les aviez trouvées.

En allant doucement, avec la suite qui est possible en France, vous aviez mis de l'assiette dans les têtes où il n'y en avait plus, du désir que les choses allassent bien, et par conséquent de l'instruction plus qu'il n'y en a dans aucun service, au dire des

gens qui, par leurs voyages, se sont mis dans le cas d'en juger, ce que je crois facilement. Car lorsque les têtes françaises se tournent vers un objet, elles passent même le but. Vous en avez vu un exemple du temps de M. de Choiseul. Vous en donnez un autre, avec cet avantage, que sous M. de Choiseul, du sein de l'ignorance et de l'apathie, on s'est tout de suite élevé à une tactique dont les maîtres étaient aussi ignorans que les disciples, et que du moins aujourd'hui la longue pratique et la réflexion de quelques-uns ont amené les choses à de bons principes, dont toutefois on abuse en exigeant des précisions géométriques impraticables à la guerre, et par conséquent inutiles, je dirai plus, mal vues.

Je vous en deinande pardon; je vous ai ouï dire qu'il fallait exiger beaucoup de précision pendant la paix, pour en avoir un peu à la guerre. Je ne puis être de cet avis-là; car on tourmente, on dégoûte même le soldat; il arrive que, lorsque les fatigues militaires, et le grand nombre de recrues qu'on n'a pas le temps de dresser pendant la guerre, réduisent les troupes à ne manoeuvrer qu'à peu près, elles imaginent ne plus rien savoir, ce qui d'abord est un inconvénient; et puis elles s'accoutument au relâchement et viennent à croire qu'on les a bien tracassées pour leur faire faire des inutilités. Cette opinion va au détriment du respect et de la confiance qu'elles doivent avoir pour leurs supérieurs, sentiment qu'on ne peut trop inspirer au soldat ainsi

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