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faire croire qu'il possède, peut-être en croisant, par cette importunité, des projets qu'il avait.

Les courtisans préférés auraient d'autant plus de tort de faire cette faute, que la faveur a un grand pouvoir sur les ministres, et qu'ils n'épargnent rien pour se concilier ceux qui en jouissent, comme s'ils avaient quelque chose à redouter de qui que ce soit, tant qu'ils sont en place, et de la reconnaissance et de l'amitié à attendre, lorsqu'ils sont renvoyés.

L'exemple du duc de Choiseul ne peut rien prouver contre cette vérité. Tant de circonstances ont concouru à rassembler autour de lui dans sa disgrâce, cette foule d'amis, et, pour ainsi dire, cette cour, que cet événement sort de la classe ordinaire. A l'opinion du plus grand nombre, toujours en opposition contre la cour, s'était jointe la haine personnelle contre Louis XV: l'indignation de voir une créature aussi vile que madame Du Barry assise sur le trône, le cachet de l'honneur qui semblait attaché à lui être opposé, le ton du jour, et, peutêtre plus que tout cela, l'opinion assez générale que M. de Choiseul reprendrait bientôt le dessus; tous ces motifs lui ont attiré plus de monde dans son exil à Chanteloup, que l'attachement ou la gratitude. Ce qui le prouve de reste, c'est que, lorsqu'il a été bien assuré, sous le règne de Louis XVI, qu'il ne reviendrait plus en place, tous ces amis si chauds, ces cliens si assidus, ont disparu, et qu'il s'est

trouvé réduit à un très-petit nombre de gens qui l'aimaient, ou qui étaient véritablement recon

naissans.

C'est une grande question de savoir ce qui vaut le mieux, ou que les rois aient une société, ou qu'ils se renferment dans leurs palais, et ne paraissent qu'environnés de tout leur éclat et de leur étiquette. Il est assez difficile de prononcer: car si, d'un côté, la société adoucit le caractère des souverains, et leur présente une image des liens qui rapprochent les hommes, et des devoirs réciproques qu'exige leur union; d'un autre côté, la différence de l'éducation des princes à celle des particuliers met tout l'avantage du côté de ces derniers. A cette supériorité se joint bientôt la connaissance des défauts et de l'insuffisance des premiers; d'où il ne peut résulter pour eux qu'une opinion désavantageuse, peut-être le plus grand mal qu'il soit possible qu'un État éprouve. Il paraît donc préférable que les rois, dépouillés de leur grandeur, se cachent à leurs sujets, et qu'ils n'en soient considérés que comme des divinités mystérieuses, auxquelles ils ne doivent d'autre culte que le respect. Qu'un plus habile que moi décide la question : je me bornerai à trancher pour les courtisans, et à me ranger de l'avis de Henri IV qui disait: Heureux le gentilhomme qui vit dans sa terre et qui ne me connaît pas

!

T. 11.

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Procès du cardinal de Rohan.

Ecrit en 1786.

EN parlant de madame de Guéménée, et de la manière dont elle quitta sa charge, j'ai assez dépeint les Rohan, et surtout le cardinal, pour qu'il ne soit plus besoin de rien dire de son personnel. La catastrophe qu'il vient d'éprouver n'est surprenante qu'en ce qu'il avait toujours paru avoir assez d'esprit pour n'être pas dupe, et surtout pour n'être pas la victime de l'intrigue grossière qui l'a perdu. Avant d'entrer en matière, il est nécessaire de faire connaître les principaux acteurs qui ont eu part à cet événement.

Mademoiselle de Boulainvilliers avait été mariée au prévôt de Paris, petit-fils du fameux juif Samuel Bernard. En l'épousant, il acheta la terre de Boulainvilliers dont il prit le nom.

Il possède une belle maison à Passy, d'où madame de Boulainvilliers étant allée se promener aux Champs-Élysées, elle y rencontra une petite fille couverte de haillons, dont la figure était intéressante; elle la remarqua: celle-ci, je crois, lui vendit des fleurs. L'ayant depuis trouvée plusieurs fois, elle s'en occupa de plus en plus; et, l'ayant entendu appeler Valois, elle lui demanda par quel

hasard elle portait ce nom. La petite fille répondit qu'elle n'en savait rien, mais que sa mère avait des papiers qu'elle conservait avec grand soin, et qui prouvaient son origine.

Cette réponse excita la curiosité de madame de Boulainvilliers. Elle fit faire des perquisitions dont le résultat fut qu'il paraissait assez constant que cette petite fille était Valois, et qu'elle descendait, par bâtardise, d'Henri II. Portée d'inclination pour cette enfant, cette découverte l'y attacha; elle la prit chez elle pour la faire élever. La petite Valois répondit mal à ses bontés et à ses soins. Plus grande, sa conduite fut si mauvaise, que madame de Boulainvilliers l'abandonna et la chassa de chez elle. Délaissée de sa protectrice, elle grossit, dans Paris, la foule de ces créatures qui vivent d'intrigues et de leurs attraits, et se maria à un M. de Lamotte, qui, de son côté, faisait nombre parmi les intrigans dont les ruses fatiguent journellement la police et la justice. Ils apportèrent chacun, pour fonder le ménage, selon l'ordinaire, une volonté bien déterminée de réunir leurs moyens et leurs talens, afin de faire des dupes et d'escroquer de l'argent.

Le comte de Cagliostro est un de ces êtres qui paraissent de temps en temps, gens inconnus qui se font passer pour adeptes; se mêlant de médecine, d'alchimie, quelquefois de magie, merveilleux en tout, dont le public grossit toujours les aventures extraordinaires, et qui, après avoir ruiné les sots.,

finissent leurs exploits par le carcan. Ce qui est assez singulier, c'est que le comte de Cagliostro, ayant tous les dehors de ces sortes de gens, n'en a point eu les habitudes pendant le séjour qu'il a fait à Strasbourg et à Paris : au contraire, il n'a jamais pris un sou de personne. Vivant assez honorablement, il a toujours tout payé avec la plus grande exactitude, et fait beaucoup de charités, sans qu'on ait jamais su d'où il tirait des fonds. Le cardinal de Rohan l'avait connu à Strasbourg, et le prit dans une telle amitié, une telle confiance, que Cagliostro, venu à Paris, ne le quittait plus.

Boehmer est un joaillier fameux qui avait vendu à la reine, il y a quelques années, des boucles en girandoles, d'un grand prix et d'une grande beauté, tant par la grosseur et la pureté de l'eau des pierres, que par leur égalité. Associé avec plusieurs confrères, il avait composé un collier qui ne le cédait en rien aux girandoles, et dont il demandait seize cent mille francs. Ce collier fit beaucoup de bruit, et l'on dit que la reine allait l'acheter. Je lui en parlai elle me répondit que, quelque goût qu'elle eût pour les diamans, et quelle que fût la beauté de ce collier, il était trop cher pour ses moyens et pour consentir que le roi le lui donnât, d'autant plus qu'il venait de faire l'acquisition de Rambouillet et de Saint-Cloud; dépense peut-être trop considérable pour l'état actuel des finances; elle ajouta qu'elle ne voulait pas qu'on la taxât d'augmenter

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