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par le retard des galions, et surtout par la faute de M. d'Ormesson, qui avait laissé exporter quarante millions espèces en Espagne, et souffert que l'argent devînt marchandise. Ce système qu'on peut soutenir, en avait fait prodigieusement sortir de France.

La cour était alors à Fontainebleau, et l'on se détermina, pour premier remède à employer dans une situation aussi fâcheuse, à renvoyer M. d'Or

messon.

Deux hommes se mirent sur les rangs pour le remplacer, M. Foulon (1) et M. de Calonne. Le premier qui, de simple commissaire des guerres, sous le ministère de M. le duc de Choiseul, s'était élevé à la place d'intendant de la guerre, ensuite d'intendant des finances, était réformé, et ne faisait plus rien que jouir d'une fortune immense qu'il s'était faite. Il avait déjà pensé être contrôleurgénéral, et il mourait d'envie de l'être. Le second, intendant de Metz, homme très-aimable, et de beaucoup d'esprit, d'une ambition démesurée, et qui de tout temps avait porté ses vues sur le contrôlegénéral. M. Foulon avait pour lui les sous-ordres du roi; et M. de Calonne, son oncle Bourgade, tous les d'Harvelay, mais surtout M. de Vaudreuil, et

(1) Foulon est un homme intelligent en affaires, d'ailleurs âpre et dur. Il est fort décrié dans l'opinion publique; il le sait, et sa sécurité sur ce point me confond.

par conséquent madame de Polignac aussi l'emporta-t-il sur son concurrent. Une chose assez singulière, c'est que jamais M. d'Ormesson ne se douta de ce qui se passait ; et que, lorsque M. de Vergennes lui demanda sa démission, il répondit avec une hauteur à laquelle on ne s'attendait pas, et lui déclara tout net que, tenant sa place du roi, il ne la remettrait qu'à lui, et quand il la lui demanderait. Il montra autant de soumission à son maître qu'il avait témoigné de roideur à un homme dont il croyait avoir à se plaindre.

Dans la visite de début que M. de Calonne fit à M. de Ségur, il lui dit qu'il n'y aurait plus de comité, et qu'il n'avait accepté le contrôle-général qu'à cette condition, soit qu'on se fût servi de ce nouveau venu pour détruire un établissement aussi vicieux, d'une manière simple en apparence, ou qu'en effet M. de Calonne n'eût pas voulu d'entraves dans sa place, pour ne pas être dans la dépendance de M. de Vergennes. Quoi qu'il en soit, ce comité, qui avait causé tant de fermentation à la cour, n'y subsista qu'environ huit mois, pendant lesquels il n'a servi qu'à importuner le roi et à tourmenter ses ministres.

M. de Calonne, dès sa première entrevue avec M. de Castries, lui demanda l'état des dettes de la marine, et prit avec lui des termes pour les liquider; il s'occupa ensuite de la caisse d'escompte, et y établit une forme d'administration soumise à des

règles qui donnaient des entraves à l'arbitraire des administrateurs; il les contraignit surtout à avoir un fonds en argent, proportionné à la quantité de billets qui circulaient dans le public : il arrêta aussi l'exportation de l'argent; et peu de temps après qu'il fut en place, il ouvrit un emprunt viager de cent millions, en forme de loterie, annexant aux billets des primes pour courir la chance des lots.

Cet emprunt fut accueilli avec une telle faveur, que non-seulement il fut rempli en très-peu de temps, mais même qu'on refusa beaucoup de millions, et que deux mois après son établissement, il gagnait onze pour cent. L'argent qu'on avait fabriqué dans le royaume, l'arrivée des galions, et, plus que tout cela, l'opinion produisit cet effet et la hausse de tous les papiers royaux; événement immanquable en France lorsqu'on sait y établir le crédit l'étoffe y est immense, et les ressources sont inépuisables. Pour s'en convaincre, qu'on compare la situation où M. d'Ormesson avait laissé les affaires, et le point où M. de Calonne les porta en trois mois de temps. De tels exemples doivent bien en imposer aux étrangers, et leur faire faire de sérieuses réflexions.

De la société des rois.

Ecrit en 1784.

IL en est de la société des rois comme de celle des particuliers: les commencemens en sont agréables; l'attrait de la nouveauté, le désir réciproque de se plaire, en bannit tout ce qui pourrait y faire naître des nuages. Celle des rois a l'avantage sur celle des particuliers, que le charme de la familiarité la rend plus piquante pour eux, et que la faveur comble l'unique vou du courtisan. Il n'en est point cependant qui ait plus d'inconvéniens, ni qui soit sujette à plus de vicissitudes.

Si la prudence et l'honnêteté exigent en général de la réserve, combien n'est-elle pas plus nécessaire avec les rois! car enfin un propos méchant ou hasardé dans le monde, peut, j'en conviens, porter coup à la réputation de celui contre lequel il est tenu

cependant ceux qui l'entendent ne sont point ses maîtres, ils ne sont que ses juges; d'ailleurs ils sont à même d'apprécier le motif qui l'a fait tenir, et d'estimer le degré de croyance qu'on doit lui donner, par la connaissance qu'en général on a des individus; appréciation que ne peuvent jamais faire les souverains, trop séparés du reste

des hommes pour prendre d'eux d'autre opinion que celle qui leur est donnée par la voix publique, leurs maîtresses, leurs confesseurs, ou leur société, lorsqu'ils en ont une.

par

Les souverains sont hommes, et, comme tels, plus disposés à prendre les mauvaises impressions que les bonnes. Souvent, avec eux, un mot suffit pour ternir la réputation de quelqu'un, barrer sa fortune, la perdre même. Qu'on juge d'après cela de la gêne continuelle où se trouve un homme honnête appelé à la familiarité des rois, et s'il n'est pas sans cesse réduit, par devoir, au rôle froid et médiocre d'applaudir, d'excuser ou se taire.

A cet inconvénient de la société des rois, il s'en joint une multitude d'autres. Avec eux il n'y a presque pas de sujet de conversation. On ne peut certainement leur parler politique, ni de la nouvelle du jour qui s'y rapporte : ce serait leur manquer de respect, par l'impossibilité où ils sont de répondre. S'étendre sur l'administration et la discuter, ce serait de même les mettre dans le cas de garder le silence, et tomber soi-même dans celui d'attaquer les gens qui en sont chargés, de leur nuire, ou de se faire des ennemis en pure perte. Un événement de société, de quelque nature qu'il soit, présente les mêmes difficultés ; d'ailleurs, les souverains ne connaissent point assez ni son régime, ni ceux qui la composent, pour en juger autrement que par prévention.

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