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de détruire un homme qui faisait ombrage à son crédit et l'établir par-là d'une façon transcendante, imperturbable; qu'en supposant que M. de Vergennes n'eût pas été d'intelligence avec M. de Fleury, tout au moins celui ci l'avait-il abusé; qu'au réveil de tous les acteurs de cette scène, parmi lesquels était le roi, M. de Fleury avait été sacrifié comme agent de la machine; mais qu'il n'était pas moins vrai que le roi se trouvait extrêmement embarrassé entre son autorité et la perte de deux ministres qu'il ne pouvait s'empêcher d'estimer, et que sûrement il désirait de conserver; que ces ministres ne pouvaient adhérer à sa volonté sans s'avilir; qu'enfin la suite de cette affaire avait atteint le période immanquable où conduit une base vicieuse, de ne permettre aucune solution qui ne se ressentît du faux calcul des principes. « Cependant, » ajoutai-je, j'entrevois un moyen; c'est que le roi > fasse quelque chose d'assez marqué pour M. de » Castries et pour vous, pour faire connaître au pu»blic le contentement qu'il a de vos services en »> tous genres, et surtout dans la guerre qui vient » de finir; qu'il prouve qu'en vous forçant de venir » à un comité aussi déplaisant pour vous, il rend plus à son autorité, qu'il ne cherche à mortifier » des gens dont il fait cas, et surtout à donner la » prééminence à M. de Vergennes. Il n'y a, ce me » semble, ajoutai-je, que de faire M. de Castries et » vous maréchaux de France; cela pourra satisfaire

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» à tous les objets que je viens d'exposer, et vous > permettre d'avoir la complaisance, pour la dignité » de votre maître, de paraître à ce comité sans flé» trissure, sauf après cela à voir comment iront les » choses, et si le comité tombe ou se soutient, >> et si l'on veut réellement Vous y soumet> tre; dans ce dernier cas, vous serez toujours à » même, en vous en allant, de manifester d'autant plus la sagesse et la noblesse de votre conduite. >>

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Mes idées avaient trop de justesse pour ne pas frapper M. de Ségur. Il convint que c'était le seul moyen de parer à tout et déclara que, si on le faisait maréchal de France, il paraîtrait au comité sans donner sa démission: « Toutefois, ajouta-t-il, avec » les formes convenables, c'est-à-dire que j'en rece» vrai l'ordre directement du roi. Nous verrons en» suite la tournure que cela prendra; car très-cer» tainement je ne plierai pas sous un ministre. »

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En conséquence de leur convention, MM. de Castries et de Ségur parlèrent au roi de la lettre qu'ils avaient reçue de M. d'Ormesson, et lui firent des représentations sur la forme qu'on avait employée. Le roi leur répondit qu'ils avaient raison, et qu'il leur dirait quand il voudrait qu'ils vinssentau comité. J'allai chez madame de Polignac, à laquelle je représentai à peu près les mêmes choses qu'à M. de Ségur, en concluant que la seule voie qui s'ouvrît pour se tirer du mauvais pas où l'on se trouvait, était de faire MM. de Castries et de Ségur maréchaux

de France : « Grâce, lui dis-je, bien méritée par >> leurs anciens et distingués services, et qu'ils sont » fort dans le cas de réclamer, au moment où l'on » vient de récompenser le ministre des affaires étrangères pour avoir fait une paix qui dans le fond est >> aussi le fruit de l'activité et des talens du ministre » de la marine et du concours de celui de la guerre,

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qu'on sauvera par-là de la nécessité de paraître au » comité. Car, ajoutai-je, je me flatte bien que le >> roi et la reine connaissent à l'heure qu'il est l'ab» surdité de cet établissement, et qu'il ne durera » que le temps nécessaire pour que sa destruc>>tion précipitée ne compromette pas trop la ma» jesté du trône. »

Madame de Polignac convint avec moi que le moyen que je lui proposais était bon, et qu'elle allait s'en occuper. « Il faudrait, lui dis-je, pour que » la chose fût plus marquée, ne faire, pour le mo» ment, maréchaux de France, que MM. de Ségur » et de Castries. Quelque temps après, on pourra » augmenter la promotion pour ne pas faire d'injus>>> tice aux anciens.-Je pense comme vous, me ré» pondit-elle; mais ce ne sera pas chose aisée que » d'amener le roi à cela. »

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Je vis M. de Castries, et je lui parlai sur le même ton. Je le trouvai très-ardent à obtenir le grade, et je m'en doutais bien : car je savais qu'il avait poussé M. de Ségur, il y avait quelque temps, à faire une promotion, et qu'il en avait inutilement parlé au

roi. Je lui demandai si, recevant le bâton de maréchal, il se tiendrait pour content? Mais il ne s'expliqua pas plus avec moi sur la suite, qu'il ne l'avait fait précédemment.

Madame de Polignac eut plusieurs conversations avec M. de Ségur, dont elle me dit qu'elle avait été parfaitement contente. Elle se loua beaucoup de sa modération, de sa sagesse, et surtout de sa justice; car M. de Ségur, en se plaignant de la tyrannie de cette institution, disait hautement que M. de Castries ni lui ne pouvaient désobéir.

Elle ne trouva pas autant de facilité avec M. de Castries, et même elle me dit un jour, avec humeur M. de Castries est d'une taquinerie insupportable.

Cependant je m'aperçus bientôt qu'il y avait tout lieu de croire que ces messieurs seraient maréchaux de France.

M. de Ségur, selon son usage, avait vu très-souvent la reine en particulier, et cette princesse l'avait toujours parfaitement bien traité, sans qu'il eût été jamais question de la circonstance présente. Lorsque madame de Polignac l'avertit qu'il en était temps, il parla à la reine de faire des maréchaux de France. Elle lui répondit qu'elle lui dirait quand il faudrait qu'il portât son travail au roi.

La chose traîna encore plusieurs jours. Enfin la reine lui dit qu'il pouvait parler au roi. M. de Ségur, n'osant pas ne faire mention que de M. de Castries

et de lui, avait fait une première liste où il n'avait mis que quelques anciens, avec M. de Castries et lui qui la fermaient. Il en avait fait une seconde, beaucoup plus étendue, où il comprenait tous ceux qui, par leurs services militaires, pouvaient pré-tendre au titre de maréchal de France, et celle-là finissait à M. de Lévis.

Le roi se détermina à n'admettre que ceux que de longs services militaires mettaient dans le cas d'obtenir ce grade. Il n'hésita que pour M. d'Aubeterre, qui avait quitté de bonne heure la carrière militaire pour suivre celle des ambassades, et qui avait fini par avoir le commandement de Bretagne, qu'il n'avait accepté que sous la condition d'être fait maréchal de France. Le roi se flatta qu'en le faisant duc, il se désisterait du titre qu'il avait pour l'être; mais on ne put l'obtenir de lui, et il fut compris dans la promotion. A l'exception du principe sur lequel cette promotion fut faite, le roi ne détermina rien dans ce premier travail; il prit les feuilles de M. de Ségur, et lui dit qu'il l'avertirait lorsqu'il voudrait revoir cette affaire.

Comme elle était infiniment intéressante pour M. de Ségur, il demeura pendant plus de trois semaines à Versailles, sans en sortir, dans la crainte de ne s'y pas trouver lorsque le roi le demanderait; car il savait qu'il était difficile, avec lui, de faire renaître une occasion manquée. Il hasarda une ou deux fois, de lui demander s'il ne voulait pas terminer l'affaire

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