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pour lui l'arrangement relatif à M. de Castries qui ne pouvait raisonnablement rester en place. Je le quittai sans être plus éclairé que lorsque j'étais entré chez lui, avec la conviction o.. utefois que M. d'Adhémar était l'intrigant le plus consommé que j'eusse encore rencontré.

Il me vint une idée, c'est qu'on ne disait que M. de Castries ne pouvait rester ministre de la marine que pour le chasser réellement, tant par la machine qu'on avait faite contre lui, que par les dont il était homme à se laisser provoquer, propos au point de prendre son parti; et tout cela pour mettre à sa place le marquis de Vaudreuil, certainement officier valeureux et de mérite dans la marine, mais le plus mauvais choix qu'on pût faire pour être ministre, et tellement déplacé que je ne m'arrêtai pas long-temps à cette idée.

Avec l'ascendant et le crédit que M. d'Adhémar avait sur madame de Polignac, et le soupçon qu'il avait eu grande part à ce qui était arrivé, je m'étonnais de la voir si décidée à soutenir M. de Ségur, et surtout M. de Castries; au point que, si elle ne faisait pas plus pour eux, on ne pouvait s'en prendre qu'à la résistance qu'elle ne me cachait point trouver dans la reine, qui avait de fréquentes conversations avec M. de Vergennes.

Peut-être que madame de Polignac, effrayée par l'effet que ferait dans le monde la perte de deux hommes qu'elle avait mis en place, et qui avaient

beaucoup d'amis et de partisans, avait démontré à M. d'Adhémar qu'il en pouvait résulter des suites fâcheuses pour sa réputation et même pour son crédit. Peut-être aussi qu'elle résistait à M. d'Adhémar. Elle en était très-capable, si de soutenir les ministres attaqués lui paraissait le parti de l'honnêteté et de la raison. Quoi qu'il en soit, M. d'Adhémar se rapprocha de M. de Ségur, et lui témoigna de l'intérêt; M. de Ségur le reçut bien, mais il le connaissait trop pour être la dupe de ses prévenances.

Les choses demeurèrent plusieurs jours dans cette position, pendant lesquels il y eut beaucoup de pourparlers. Je démontrai à madame de Polignac que l'affaire était à un tel point qu'il fallait ou détruire le comité, ou n'y jamais appeler MM. de Castries et de Ségur, ou se déterminer à les voir s'en aller. Détruire le comité, c'était une chose impossible; il venait d'être créé par un édit, et l'on dégradait le roi en lui conseillant cette démarche. Consentir que ses ministres n'y fussent pas cités, c'était aller contre son édit et leur céder, idée qui révoltait tellement le roi, peut-être avec quelque raison, qu'il entrait en colère lorsqu'on lui laissait entrevoir ce moyen. Il était donc très-difficile de prendre un parti qui pût parer à une catastrophe.

On apprit bientôt que M. Amelot, secrétaire d'état, ayant le département de la Maison, avait été mandé au comité, et y avait rendu compte de l'emploi de ses fonds. On avait commencé par lui,

parce qu'on était bien sûr d'une timide obéissance. Peu de jours après, MM. de Ségur et de Castries recurent chacun une lettre de M. d'Ormesson, qui leur indiquait le jour où ils devaient de même apporter leurs états au comité. J'étais à Paris alors, et M. de Ségur me le manda sur-le-champ.

Je reçus en même temps un billet de M. d'Adhémar, qui me marquait que, devant partir le lendemain pour l'Angleterre, il me priait de venir chez lui de bonne heure: il me parut vraiment, je ne dois dire peiné, mais agité, de la lettre que M. de Ségur avait reçue; car il ne me parla point de M. de Castries. Il s'épuisa en raisons pour me prouver qu'il devait obéir; d'autant que cette citation était plutôt un coup d'autorité du roi vis-à-vis de ses ministres, qu'une volonté déterminée de vouloir les contraindre à l'avenir à pareille démarche ; qu'en tout état de cause, il ne fallait rien mettre contre soi, et se donner le temps de combattre, ce qu'on ne pouvait plus faire lorsqu'on avait quitté la partie.

Il rebattit ce propos tant de fois employé que la machine était contre M. de Castries seul, et qu'il ne fallait pas que M. de Ségur eût la duperie d'en prendre sa part. Il finit par m'exhorter à faire les derniers efforts pour qu'il ne cédât pas à un premier mouvement. J'avoue que je me sentis si indigné, que n'ayant plus rien à ménager vis-à-vis de M. d'Adhémar qui allait partir, je lui dis avec sé

cheresse que j'étais étonné que quelqu'un qui devait autant d'attachement et de reconnaissance à M. de Ségur, pût vouloir qu'on le portât à une telle conduite; que sans doute il fallait que M. de Ségur obéît et allât au comité; mais qu'il fallait aussi qu'il donnât sa démission le lendemain.

M. d'Adhémar sentit parfaitement toute la portée de ce discours, et me répondit avec cette douceur qui n'abandonne jamais les courtisans: On juge bien légèrement les gens; mais si on lisait dans leur ame, et surtout si on était au fait des choses, tel qui paraît coupable serait bien justifié.

Comme j'allais le quitter, il reçut une lettre de madame de Polignac, que lui remit un courrier qu'elle lui avait envoyé de Versailles, dont il me fit part. Cette lettre l'informait que le roi désapprouvait beaucoup la forme qu'on avait prise, et les lettres que M. d'Ormesson avait adressées à MM. de Ségur et de Castries, ce qui me fit grand plaisir; car je jugeai par-là que le roi ne voulait pas se défaire de ses deux ministres, et que puisqu'il désapprouvait la forme, il pensait ne devoir pas la soutenir, ou qu'il n'en avait eu aucune connaissance; que par conséquent toute son irrégularité ne pouvait porter que sur le ministre; et qu'en pensant pousser ces messieurs, il pouvait fort bien n'avoir fait qu'éclairer le roi sur ses intentions, et le mettre en défiance de lui, tandis qu'il le ramènerait à eux.

Je partis sur-le-champ pour Versailles. Je trou

vai M. de Ségur très-déterminé à obéir, mais à donner sa démission le lendemain. Il avait été un peu étonné de la lettre de M. d'Ormesson et de la forme qu'on avait prise : il en avait causé avec M. de Castries, et ces messieurs s'étaient déterminés pareillement à répondre à M. d'Ormesson qu'ils prendraient les ordres du roi en effet, ils n'en avaient à recevoir que de lui, et non pas du contrôleur-général.

Je rendis compte à M. de Ségur de mon entrevue avec M. d'Adhémar, et du contenu de la lettre de madame de Polignac, qu'il avait reçue en ma présence. Je lui dis que je croyais qu'il en fallait inférer que M. de Vergennes était certainement l'auteur de la démarche que M. d'Ormesson venait de faire, soit qu'il l'eût prise sur lui, soit qu'il y eût fait consentir le roi; que je voyais bien que le roi ne la soutiendrait pas qu'enfin les choses en étaient venues au point que chacun se trouvait embarrassé, et ne savait comment s'en tirer; que M. de Castries et lui ne pourraient jamais se dispenser de paraître à ce comité, parce qu'en quelque sorte la dignité et l'autorité du roi l'exigeaient ; que je pensais bien que ce serait une fois pour toutes, et qu'enfin ce comité, qui ne valait rien en soi, ne pourrait subsister long-temps; que je voulais bien croire qu'il n'avait été imaginé que pour se défaire de M. de Castries, et présenté par M. de Fleury à M. de Vergennes, comme le moyen

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