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Comité de finances.

Écrit en 1784

Au commencement de l'année 1783, la paix avec les Anglais venait de se faire, plus glorieuse par l'indépendance de l'Amérique que bonne pour la France, dont l'intérêt aurait peut-être été de prolonger la guerre pour avoir des conditions plus avantageuses. Cependant l'état fâcheux des finances, et surtout la mauvaise conduite de la marine, qui se couvrait toujours de gloire dans les combats particuliers, et quelquefois de honte dans les affaires générales, pouvaient faire craindre que les Anglais, ayant une excellente marine, énergiques dans leurs conseils, actifs, éclairés dans l'exécution, ne reprissent une supériorité qui aurait fait manquer l'objet de la guerre, c'est-à-dire l'indépendance de l'Amérique, à laquelle la mauvaise position des affaires de l'Angleterre la forçait de consentir.

Quoi qu'il en soit, la paix causa une joie générale, et devait produire cet effet. Le commerce, gêné dans la plus grande partie de ses branches, se

trouvait reprendre par elle toute son activité tant au dehors qu'au dedans du royaume; le terrier voyait la rentrée de ses revenus, obstruée depuis long-temps, se consolider par la vente de ses productions; le rentier, de même, n'avait plus de continuelles appréhensions que les frais d'une guerre aussi dispendieuse n'absorbassent tellement les fonds du roi, qu'il ne pût satisfaire à ses engagemens; enfin tout concourait à un contentement général.

Naturellement, dans une telle disposition, le ministre des affaires étrangères, qui avait été l'ouvrier principal de la paix, aurait dû jouir de la reconnaissance publique. Les amis de M. de Vergennes l'exaltèrent; les indifférens calculèrent ; mais le plus grand nombre, quoique très-content, quoique profitant des avantages de la tranquillité générale, chercha, dès les premiers instans, à critiquer les conventions, à dénigrer l'ouvrage : suivant en cela le ton du siècle, qui est de blâmer également et les choses et les individus, d'après cet esprit de dénigrement et de parti qui est assez dans l'homme. Cet esprit avait pris l'essor en France, au moment de la dissolution du parlement par M. de Maupcou, s'était augmenté au renvoi de M. le duc de Choiseul, et la cour ne lui en imposait pas, ni par un maintien qui lui donnât de la considération, ni par celui du bon ordre, en tenant chacun à sa place.

Il était bien difficile que, dans cette circonstance, le roi ne récompensât pas un ministre qu'il pensait l'avoir bien servi: d'ailleurs, il paraissait pencher pour M. de Vergennes, et lui accorder sa principale confiance, ce qui était assez simple. De tous les ministres alors en place, M. de Vergennes était le plus ancien, et celui que le roi connaissait davantage : comme il avait toujours eu l'art de ne pas offusquer M. de Maurepas tant qu'il avait vécu, il est à présumer que ce premier ministre, non pas de nom, mais de fait, pensant n'avoir rien à craindre de lui, n'avait pas manqué de donner au maître des préventions avantageuses sur son compte. Cependant, comme ce qui semble le plus coûter au roi, est de se décider, il y avait déjà quelque temps que les préliminaires étaient signés, sans que le ministre des affaires étrangères fût récompensé. On disait dans le public qu'il serait, ou duc, ou chef du conseil des finances; enfin, le roi lui donna cette dernière place, vacante depuis la mort de M. de Maurepas.

Jusque-là la place de chef du conseil de finances n'avait été qu'un titre honorifique : 60,000 livres d'appointemens, attachés à ce titre, le faisaient considérer comme une récompense pécuniaire. M. de Vergennes sembla ne pas bien calculer la position où la fortune l'avait placé ; il se trompa également au caractère méfiant et indifférent du roi et à la promptitude qu'il mit à vouloir se rendre

le maître. Le département des affaires étrangères étant entre ses mains, il pensa qu'en y mettant aussi celui de l'argent, duquel tous les autres dépendent, rien ne contrebalancerait plus son autorité il imagina donc de se servir du titre de chef du conseil des finances, qu'il venait d'obtenir, pour le devenir en effet. Il s'associa M. Joly de Fleury, contrôleur-général, et M. de Miroménil, garde-des-sceaux.

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On vit cette alliance s'établir. Il ne fut pas cile de juger que son premier effort se tournerait contre le ministre de la marine et celui de la guerre, MM. de Castries et de Ségur.

M. de Castries, d'un caractère plus vif et plus entreprenant que M. de Ségur, d'ailleurs dans une position plus brillante, puisqu'enfin c'était à la justesse de ses combinaisons, à son activité, trop souvent mal secondée par les agens et les élémens, qu'on devait d'être parvenu à abattre les Anglais, à les forcer à la paix que la France voulait; M. de Castries, dis-je, devait essuyer les premières attaques, et ce fut aussi par lui qu'on commença.

M. de Bourgade, le seul qui restât des Marquets, famille que MM. de Montmartel et Duverney avaient élevée, et qui avait servi utilement et avec distinction, à la tête des vivres, pendant les guerres de 1740 et de 1756, avait été mis à la finance, pour en être l'ame, lors de la nomination de M. de Fleury au contrôle général, pour suppléer au peu

d'habitude de ce magistrat dans un département dont il n'avait nulle notion, et où M. de Maurepas l'avait placé avec cette légèreté et cette inconséquence qu'on a vues dans presque tous ses choix. M. de Bourgade commença les hostilités par se lâcher en propos sur les déprédations pécuniaires de M. de Castries: attaque d'autant plus facile, que les sommes immenses qu'exigeaient les armemens prodigieux et fréquens que la nature de la guerre nécessitait, prêtaient à l'imputation aux yeux du public qui ne juge jamais que les résultats, sans approfondir, ni les combinaisons, ni les besoins. Ces propos n'étaient encore que des préliminaires. Il fallait porter un grand coup, qui pût être assez fort pour exciter le caractère vif et noble de M. de Castries, et le déterminer à prendre un grand parti: ce coup ne tarda pas.

par

Dans les plaintes de M. de Bourgade, soutenues

M. de Fleury, il se récriait principalement sur les lettres de change qui arrivaient journellement des colonies, et qui épuisaient le trésor royal, montrant la plus grande frayeur sur celles qui viendraient de l'Inde, qu'il supposait devoir être plus considérables, et qu'on serait dans l'impossibilité d'acquitter. Toutes ces menées se tram'aient chez M. d'Harvelai, garde du trésor royal, homme de fort peu d'esprit, mais dont la femme en avait beaucoup, et qui rassemblait tous les soirs chez elle MM. de Bourgade, Foulon, de Calonne et

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