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place, excepté le duc de Coigny, fort ami de ce ministre. Allant par hasard chez lui pour lui parler d'affaires, il sut de lui qu'il allait monter en voiture pour ne plus revenir. Personne, à commencer par la reine que le roi n'avait pas vue, n'avait de notion de ce qui venait de se passer, quelque intérêt que nous eussions d'être instruits. Cette ignorance occasiona même une tracasserie: car, nous trouvant rassemblés le soir comme à notre ordinaire chez madame de Polignac, madame de Châlons, qui très-certainement n'ignorait rien, puisque le duc de Coigny était instruit, madame de Châlons parla du départ de M. de Montbarrey. Nous nous regardâmes tous avec un grand air d'étonnement; le duc de Coigny et madame de Châlons crurent que nous voulions les persiffler, et nous le firent sentir avec aigreur. On leur répondit sur le même ton, et ce commencement d'éloignement, qui pourtant se raccommoda promptement, comme cela devait être, laissa un levain qui ne tarda pas à se développer, et qui eut quelques suites.

Le roi ni M. de Maurepas ne s'étaient pas attendus que M. de Montbarrey prendrait son parti; au moyen de quoi ils se trouvèrent pris au dépourvu, car il s'en fallait bien que le roi fût décidé pour M. de Ségur la reine ne mettait ni assez de chaleur, ni assez de suite pour déterminer ce prince en sa faveur, et M. de Maurepas ne voulait absolument pas que ce fût lui. Pour se donner le temps

de faire un choix, on chargea par interim M. de Vergennes du porte-feuille de la guerre.

Les intrigues furent grandes; car le temps que le roi mit à nommer, donna de reste celui de dresser des batteries aux gens à même d'agir à la cour. Nous ne nous tenions pas tranquilles non plus; je dis nous, car madame de Polignac, M. de Vaudreuil et M. d'Adhémar et moi voulions également que M. de Ségur fût ministre de la guerre. M. d'Adhémar surtout pressait vivement madame de Polignac, et s'en prenait souvent à elle, comme si c'eût été sa faute de ce que la reine, qui était assez décidée pour M. de Ségur, ne mettait pas le nerf nécessaire vis-à-vis du roi, pour le lui faire choisir.

la

Enfin, la veille du premier jour de l'année 1781, le roi, la reine et toute la cour étant aux porcelaines qu'on étale toujours vers ce temps, dans les cabinets, la reine tira madame de Polignac à part, et lui dit à l'oreille, sans savoir, la pauvre princesse, qu'elle prononçait son arrêt, que le ministre de la guerre était fait, et que c'était M. de Puységur. Madame de Polignac, toujours observée par multitude lorsqu'elle était en public, n'osa entamer une conversation devant tant de monde. Elle se pressa de revenir chez elle apprendre à MM. d'Adhémar et de Vaudreuil ce que l'on venait de lui díre. On ne m'en fit pas part, par la raison, comme on me l'a dit depuis, que cela m'aurait fait trop de peine, et causé trop d'inquiétude; attention dont

je ne fus point la dupe, pensant bien que, toujours par le même principe, M. d'Adhémar voulait avoir seul le mérite de la réussite, si elle avait lieu. Il jugea fort bien qu'il n'y avait pas un moment à perdre, et qu'il fallait tout tenter pour l'emporter.

En conséquence, il fit écrire à madame de Polignac une lettre à la reine, par laquelle elle lui marquait qu'il était de la plus grande conséquence qu'elle eût un entretien avec elle, et qu'elle la suppliait de venir dès qu'elle le pourrait. La reine arriva sur les onze heures du soir chez madame de Polignac qui, pressée par M. d'Adhémar, lui remontra avec force combien il était humiliant pour elle que M. de Maurepas l'emportât dans une occasion nonseulement mortifiante pour le moment, mais décisive pour l'avenir; que la nomination du ministre de la guerre faisait le sujet de la conversation de tout le monde, et que chacun avait les yeux ouverts pour savoir qui l'emporterait, ou d'elle, ou de M. de Maurepas; que le soufflet serait affreux pour qui aurait le dessous, et que c'était à elle à voir si elle voulait le recevoir.

La reine, que la légèreté et le plaisir détournent souvent des objets qui doivent l'occuper, sait parfaitement, quand elle veut, employer les moyens de persuasion et de succès. Elle sentit la vérité de tout ce que lui disait madame de Polignac; son amour-propre fut choqué de l'idée de succomber, et du discrédit qui en est la suite; elle assura

madame de Polignac qu'elle ferait les derniers efforts pour l'emporter, et qu'elle ne désespérait pas de

réussir.

En effet, elle fut le lendemain, à sept heures du matin, chez le roi. Elle envoya chercher M. de Maurepas; et là, sans prendre le ton despotique qui réussit souvent aux femmes pour le moment, mais qui souvent aussi tire à conséquence, elle établit pour base qu'elle n'avait en vue que le bien, qu'elle insistait pour M. de Ségur, parce qu'elle croyait qu'il était le seul qui pût le produire, et que c'était à ce titre qu'elle cherchait à déterminer le roi en sa faveur, et non par aucune autre considération.

M. de Maurepas, qui était bien loin de s'attendre à cette explication, fut étonné, et ne mit en avant contre M. de Ségur que des raisons faibles, d'un homme embarrassé qui n'est point prévenu. La reine le battit facilement en ruine, et le poussa au point de lui fermer presque la bouche. Le roi, autant je crois pour plaire à cette princesse que convaincu par ses raisons, se détermina enfin pour M. de Ségur; et la reine, saisissant le moment, dit à M. de Maurepas: « Monsieur, vous entendez » la volonté du roi; envoyez tout de suite chercher » M. de Ségur, et apprenez-la lui. »

M. de Maurepas n'eut plus qu'à obéir; et il a confié à quelqu'un, qui me l'a redit, que cet ordre avait été le coup de poignard le plus sensible qu'il eût reçu de sa vie. Je le conçois.

Il n'était pas le seul atteint de ce coup; M. de Puységur fut certainement le plus sensiblement blessé de tous. On a nommé beaucoup de gens qui s'étaient tous tournés de ce côté là, mais tous trop peu importans, je ne dis pas par leur rang, mais parleur consistance, pour qu'on y ait fait attention.

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