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M. de Ségur, toujours honnête et loyal, eut une explication avec lui, où il lui parla avec autant de franchise que d'amitié. M. d'Adhémar lui répondit comme un homme qui lui était tout dévoué, et qui n'avait d'autre dessein que de lui être utile.

M. de Castries, souvent instruit de choses assez cachées, ou qu'on avait peut-être cherché à gagner pour l'adjonction de M. d'Adhémar, ami de M. de Ségur depuis long-temps, me parla avec inquiétude de cette adjonction, et me demanda de prévenir les démarches qu'on pourrait faire sur cet objet, capable de ternir la réputation de notre ami commun. Je le rassurai sur sa façon de penser et sur la mienne, en lui apprenant ce qui s'était passé.

On fut un peu embarrassé du côté de madame de Polignac, de s'être autant avancé et aussi inuti lement sur le compte de M. d'Adhémar. Le duc de Polignac, qui jusque-là n'avait point paru dans cette affaire, m'en parla; il me dit que jamais on n'avait prétendu mettre de condition au service qu'on voulait rendre à M. de Ségur; que c'était une simple proposition qu'on lui avait faite, dans l'idée qu'elle lui serait commode et agréable ; qu'il paraissait tout simple que cela ne lui convînt pas. Madame de Polignac me tint le même langage, et me pria de bien convaincre M. de Ségur de cette vérité.

M. de Ségur eut une attaque de goutte assez vive. Dès qu'il put se soutenir, il alla à Versailles et fit une faute. Les moindres choses portent coup à la

cour: il y montra un visage si pâle et si défait, un air si cassé, que, lorsqu'enfin la reine le proposa au roi pour le ministère de la le ministère de la guerre, avec plusieurs autres, pour mieux masquer sa véritable intention, le roi lui répondit que, pour M. de Ségur, il n'y avait pas moyen d'y penser, que la goutte le rongeait, et qu'il n'en pouvait plus.

Cette ouverture une fois faite au roi, M. de Mau-. repas en fut bientôt instruit, et par conséquent madame de Maurepas. Quoique M. de Maurepas eût été de tout temps ami intime de la mère de M. de Ségur, dont il était contemporain, et qu'il eût toujours témoigné de l'amitié à M. de Ségur, il ne put se défendre de l'influence que madame de Maure-pas avait sur lui. Joignez-y la crainte de voir faire encore un ministre à la reine, et peut-être l'humeur de ce que M. de Ségur ne s'était pas adressé à lui: tous ces motifs réunis lui firent opposer la résistance la plus forte à ce que M. de Ségur fût nommé à la guerre. Il convenait à peu près de l'insuffisance de M. de Montbarrey; mais il le soutenait; il fit tant qu'il parvint, apparemment par le moyen du roi, à faire revenir la reine de son opinion, même à lui persuader qu'on l'avait trompée, et que madame de Polignac avait abusé de l'ascendant qu'elle avait sur elle.

Cette princesse, dans le premier mouvement de sa colère, eut, avec madame de Polignac, une explication. Elle lui fit sans ménagement les reproches

les plus amers et les plus offensans, jusqu'à lui dire qu'elle l'avait mise en avant et sacrifiée à des vues particulières, en lui proposant un homme incapable par sa santé de la place pour laquelle elle l'avait fait le désigner. Madame de Polignac, douce naturellement, peut-être même quelquefois apathique, ne supportera jamais rien de ce qu'elle ne croit pas convenir à une femme comme elle, et à la façon noble et pure dont elle pense et se conduit. Maîtrisant la fureur que lui causaient les reproches de la reine, et la véhémence avec laquelle elle les lui faisait, madame de Polignac repoussa les propos de la colère par ceux de la raison, et termina son discours par dire à la reine, en se levant, que, du moment qu'elle s'était permis un instant d'avoir sur son compte l'opinion qu'elle venait de lui montrer, il ne convenait plus à ce qu'elle se devait de lui être attachée; qu'elle allait partir sur-le-champ pour ne plus remettre les pieds à la cour, et que, prenant ce parti, elle ne devait pas conserver les bienfaits qu'elle avait reçus d'elle; que, dès cet instant, elle les lui remettait tous, jusqu'à la charge de son mari, qui ne l'en dédirait sûrement pas.

La reine, surprise du discours de madame de Polignac, du ton noble et froid dont elle l'avait tenu, sentant apparemment la perte qu'elle allait faire et renaître en elle le sentiment vif de son amitié ; d'ailleurs, liée intimement avec elle par tout ce qu'une confiance sans bornes peut amener d'effusion

de cœur; la reine se radoucit, et chercha à réparer ce qu'elle venait de faire, mais en vain. Madame de Polignac demeurait inébranlable, et se tenait dans les limites du respect dû à la reine, en employait le langage, accompagné d'un froid bien capable d'affliger cette princesse, dont l'affliction redoublait par la résistance même que madame de Polignac opposait à ses empressemens.

Dans la violence de cette situation, les larmes inondèrent son visage; elle finit par se jeter aux genoux de madame de Polignac, par la conjurer de lui pardonner, et lui dire tout ce que le regret de l'avoir offensée, tout ce que l'amitié la plus tendre purent lui inspirer.

Ce fut là qu'échoua la fermeté de madame de Polignac; elle laissa couler ses larmes à son tour, serra la reine dans ses bras, et commença avec elle une conversation où elle lui parla avec cette vérité et cet attachement qui doivent la rendre si précieuse à cette princesse, et qui se termina par ce que les nœuds de leur amitié furent plus resserrés que jamais, et que la reine fut dans une plus forté détermination de protéger M. de Ségur.

Je n'étais pas tellement persuadé de la persévérance de conduite de M. d'Adhémar, eu égard aux intérêts de M. de Ségur, que je ne le veillasse de près; mais je le trouvai toujours invariable, et je jugeai que je pouvais être tranquille.

Du moment que M. de Maurepas fut instruit que

la reine avait des vues sur M. de Ségur, la chose fut bientôt divulguée. Indépendamment de ce que jamais homme n'a été moins secret, il fut vraisemblablement bien aise de l'ébruiter, parce que le public ne manque jamais de se déclarer d'avance contre quelque choix que ce soit, et de dénigrer par des vérités ou des calomnies celui qu'il regarde. Il espéra apparemment, par ce moyen, détruire totalement M. de Ségur dans l'esprit du roi. Si ce fut là son dessein, il réussit; car on ne parlait d'autre chose dans le monde, et les cabales étaient grandes contre M. de Ségur. M. de Montbarrey se tenait tranquille au milieu de cette fermentation. On était bien convaincu qu'il ne resterait en place que jusqu'à ce qu'un des deux partis l'emportât et fixât le choix du roi. J'ai su depuis que les amis de M. de Montbarrey lui remontrèrent avec tant de force et de vérité le rôle qu'il jouait, qu'enfin il prit son parti. Il pria M. de Maurepas de parler au roi, et le chargea, au cas que les réponses de ce prince ne fussent pas telles qu'il pouvait les désirer, de lui remettre sa démission. M. de Maurepas s'acquitta de la commission; et ayant trouvé le roi déterminé à ne pas garder M. de Montbarrey, il remit sa démission, que ce prince accepta. M. de Montbarrey partit pour Paris vers les dix heures du soir.

Comme tout cela s'était passé du roi à M. de Maurepas, et de celui-ci à M. de Montbarrey, qui que ce soit ne se doutait que ce dernier n'était plus en

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