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jours à Compiègne où je le suivis. Il y reçut un courrier de M. de Maurepas, dont il ne transpira rien. C'était matière à réflexion. Cette pensée ne me vint pas dans la tête. De retour à Paris, j'allai chez madame de Polignac où, comme à l'ordinaire, je trouvai M. d'Adhémar. « Je ne veux pas, me dit» elle lui présent, que vous appreniez par le pu»blic ce qui se passe. Le roi s'est résolu, quoiqu'avec peine, à renvoyer M. de Sartines, et M. de Castries sera nommé ministre de la marine » demain. C'est l'ouvrage de la reine. Elle a dé» terminé le roi à ce choix, et elle m'a chargée de l'apprendre à M. de Castries qui a été infini>> ment froid dans ma première conversation avec » lui; dans la seconde il s'est enfin décidé à ac» cepter. »

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D'après cela je ne doutai nullement que ce ne fût la reine seule, et à l'insu de M. de Maurepas, qui eût fait M. de Castries ministre de la marine. Je le crus d'autant plus que le roi alla tout exprès à Paris voir M. de Maurepas qui avait la goutte, et passer deux heures avec lui : ce qui avait tout-à-fait l'air d'un emplâtre pour le soufflet que ce ministre avait reçu. Depuis ce temps il a dit que le roi lui avait écrit pour le consulter, et que ce n'était que d'après son approbation qu'il avait choisi M. de Castries. M. Necker se vanta aussi que c'était son ouvrage. Quoi qu'il en fût, j'étais convaincu que M. de Castries était l'homme le plus propre au ministère de

la marine, comme je l'avais trop souvent répété à madame de Polignac, et je fus ravi de le voir à cette place pour le bien de la chose et pour lui.

Cette nouvelle m'éclaircit la raison du redoublement d'assiduité de M. d'Adhémar auprès de madame de Polignac. Un ambitieux veut toujours avoir part aux grands événemens, afin de se donner l'air de les avoir dirigés. D'ailleurs c'était assez bien voir à lui que de chercher à être l'ami de M. de Castries, l'homme du monde le plus reconnaissant, et qui n'a jamais oublié un service. Cela allait aussi à la liaison que M. d'Adhémar avait avec M. Necker qu'il courtisait d'autant plus, que dans ce temps-là M. Necker avait tout l'air de devenir un jour le maître, et ce jour n'aurait pas été éloigné, si la tête ne lui pas tourné au point de se perdre à plaisir.

eût

Je pris occasion de la nomination de M. de Castries, pour demander à madame de Polignac si la reine en resterait là, et si, ayant eu le crédit de faire un ministre de la marine, elle ne voudrait pas aussi faire un ministre de la guerre. Madame de Polignac me répondit qu'en effet il était temps de s'occuper vivement et sérieusement de M. de Ségur, et qu'elle allait y donner tous ses soins. M. ď’Adhémar, présent à l'entretien, appuya fortement cette résolution. Je remarquais cependant, depuis quelque temps, qu'il me répondait à peine lorsque je lui parlais des longueurs qu'essuyait la réussite de notre projet.

J'imaginai que le froid qu'il me témoignait tenait au même point de vue que je lui avais attribué dans la nomination de M. de Castries, qui était de ne vouloir partager avec personne le service, afin d'être le seul qui eût des droits à la reconnaissance. Connaissant sa chaleur, sa suite et son adresse, je me déterminai facilement à lui abandonner le mérite. C'est un moyen de succès infaillible, que de laisser la gloire et l'espérance du profit à ceux qui en ont le plus de désir. On atteint toujours le but, lorsqu'on a l'art d'y faire tendre l'intérêt des agens consommés dans l'intrigue, qu'on emploie ; et dans ce cas, avoir l'air de n'être pour rien dans l'opération, est la conduite la plus efficace qu'on puisse tenir. Je voulais que M. de Ségur eût le ministère de la guerre prendre le chemin le plus sûr pour l'y faire parvenir, était tout ce qu'il me fallait. M. de Vaudreuil parut aussi se refroidir, quoique pensant toujours de même; ce qui tenait plus à son caractère qu'à toute autre considération; car, en tout, calmait d'autant plus facilement, qu'il mettait plus. de chaleur dans le début.

il se

Fort peu de temps après cette conversation, madame de Polignac, qui croyait que M. de Ségur ignorait parfaitement ce qui se passait, me dit qu'il était temps de l'instruire, et qu'elle ne serait pas fâchée d'avoir un entretien avec lui. Je l'en avertis, et ne fus pas peu surpris, lorsqu'au sortir de cet entretien il m'apprit qu'après les premiers témoi

gnages de sa reconnaissance, et des marques d'intérêt de la part de madame de Polignac, elle lui avait dit que comme le détail qu'il aurait serait trèsconsidérable, et que d'ailleurs il était sujet à des attaques de goutte, pendant lesquelles il ne pouvait supporter un grand travail, elle imaginait qu'il ne serait pas fâché d'avoir quelqu'un qui l'aidât, et qu 'elle ne voyait personne qui y fût plus propre que M. d'Adhémar, dont il connaissait plus que personne le mérite, les talens, et sur l'attachement duquel il pouvait compter.

M. de Ségur ne se méprit point à l'insinuation, et répondit net que jamais il ne consentirait à avoir un adjoint; qu'il rendait justice à M. d'Adhémar sur tous les points; mais que, s'il fallait parvenir au ministère à cette condition, de ce moment il y renonçait.

Madame de Polignac, qui vit le peu de réussite de la proposition, recourut après, et lui dit qu'il se méprenait à son intention; uq'assurément elle ne mettait aucune condition au service qu'elle voulait lui rendre, et que ce n'était que pour son intérêt personnel qu'elle avait imaginé que M. d'Adhémar pouvait lui être de quelque secours; mais que, puisque la chose ne lui convenait pas, il n'en serait plus question.

J'approuvai infiniment la conduite de M. de. Ségur, et je l'exhortai fort à être inébranlable sur le fait d'un adjoint; que cette condescendance le dé

jouerait dès le premier moment, et lui ferait faire le second tome de M. de Saint-Germain et de M. de Montbarrey.

Ce trait me fit voir clair dans la conduite de M. d'Adhémar; en général, la société de madame de Polignac ne rendait pas à M. de Ségur la justice qui lui était due. On ne lui croyait ni la fermeté, ni les lumières que j'avais parfaitement démêlées en lui. On pensait que j'influais infiniment sur son opinion. D'après cela, je compris aisément pourquoi M. d'Adhémar m'avait éloigné, autant qu'il l'avait pu, de cette affaire. Je fus un peu honteux de m'être mépris au motif de sa conduite. Un homme qui agit toujours aussi franchement que je le fais, se trompe facilement aux replis d'un ambitieux.

Je n'appréhendai pourtant point que les projets de M. d'Adhémar évanouis, le fissent changer de conduite dans ce qui restait encore à faire pour mettre M. de Ségur à la guerre. Agir différemment eût été se trop démasquer aux yeux de M. de Ségur, aux miens, à ceux de madame de Polignac même, enfin à ceux du public, qui aurait fini par savoir la cause de cet événement. D'ailleurs, je suis bien convaincu qu'il pensait que, manquant son objet dans ce moment, son adresse et les circonstances le lui feraient atteindre à la première occasion.

Quels que fussent ses calculs, j'eus raison de juger ainsi. M. d'Adhémar ne se démentit point, et

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