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RECHERCHES

SUR

LA CAPILLARITÉ.

PREMIÈRE PARTIE.

EXAMEN DES THÉORIES DE L'ACTION CAPILLAIRE.

Les phénomènes capillaires se présentèrent d'abord comme des anomalies hydrostatiques. Les premiers observés furent l'élévation et la dépression des liquides dans les tubes étroits. Ces faits étaient des exceptions frappantes à la loi des vases communiquants, et l'on chercha à les expliquer par la cause que l'on savait alors capable de produire des effets semblables, c'est-à-dire par une différence de pression de l'air dans le tube et dans le vase; on admettait que l'air, pénétrant difficilement dans un tube capillaire, s'y trouvait plus ou moins raréfié. Cette explication, déjà fort gênée en présence de la dépression du mercure, tomba tout à fait lorsque l'expérience vint à révéler que les phénomènes capillaires se produisaient aussi bien dans le vide que dans l'air; mais ce ne fut que pour se relever à l'aide d'étranges hypothèses que je crois

inutile de rappeler ici; je ne puis mieux faire que de renvoyer, pour tous ces détails, au Traité de la cohésion de M. Frankenheim 1. On trouvera dans ce livre plein d'érudition l'histoire et la bibliographie complètes de la capillarité.

C'est à Newton qu'il faut remonter pour trouver la source des théories actuelles. Ce puissant génie, après avoir formulé sa grande idée de l'attraction, sut montrer comment cette cause pouvait déterminer l'équilibre des atomes. Toutefois il dut renoncer à l'idée séduisante de l'unité d'une telle force, et admettre que certaines attractions, telles que la gravitation, le magnétisme, l'électricité, agissent à des distances sensibles, tandis que d'autres ne s'étendent qu'à des distances extrêmement petites; et peut-être, ajoute-t-il, que l'attraction électrique peut s'étendre à ces sortes de petites distances sans être même excitée par le frottement. Après avoir, par de nombreux exemples tirés de la chimie de cette époque, développé cette idée, après avoir émis cette hypothèse qu'il existe dans les particules des corps une espèce de vertu polaire en vertu de laquelle elles tournent leurs côtés homogènes du même sens, il se résume ainsi : « Pour moi, j'aime mieux conclure de la cohésion des corps, que leurs particules s'attirent mutuellement par une force qui, dans le contact immédiat, est extrêmement puissante; qui, à de petites distances, produit les opérations chimiques, et qui ne s'étend pas fort loin de ces particules par aucun effet sensible *. »

On voit que dans ces pages se trouvent toutes nos idées actuelles: attraction moléculaire insensible à des distances sensibles, orientation des axes des molécules, affinités chimiques; tout, jusqu'au germe de nos théories électro-chimiques, a été prévu par ce grand prophète de la science.

Immédiatement après avoir posé ces considérations, Newton les applique à quelques phénomènes capillaires. Il explique par l'attraction la hauteur considérable à laquelle le mercure peut se soutenir dans un tube barométrique, l'élévation de l'eau entre deux plans parallèles ou dans un tube étroit, ou encore dans les corps poreux, et enfin l'équilibre d'une goutte entre deux plans inclinés sur l'horizon, et qui font entre eux un très-petit angle.

1 Frankenheim, Die Lehre von der Cohäsion. Breslau, 1835.

2 Newton, Traité d'optique, livre III, traduction de M. Coste, IIde éd., p. 571.

Newton admet ensuite et démontre l'existence d'une force répulsive naissant à la distance où cesse l'attraction; sa conclusion est celle-ci :

« La nature se trouvera très-simple et très-conforme à elle-même, produisant tous les grands mouvements des corps célestes par l'attraction d'une pesanteur réciproque entre ces corps; et presque tous les petits mouvements de leurs particules par quelques autres puissances attractives et repoussantes, réciproques entre ces particules. »>

Ces mots ont été écrits il y a plus de cent cinquante ans. On n'a rien trouvé d'autre depuis.

Cette idée d'une double attraction est développée dans un travail de Jean Keill1, inséré dans les Transactions philosophiques de 1708. Il y pose, sans démonstration, du reste, quelques principes remarquables, tels

que ceux-ci : Si un corps est formé de particules dont l'attraction décroit en raison inverse du cube ou d'une puissance supérieure de la distance, la force par laquelle ce corps attirera une particule placée en contact avec lui ou à une distance infiniment petite, sera infiniment plus grande que si cette particule était située à une distance finie.

La force attractive des particules, au contact même, dépasse de beaucoup la gravité; mais à une distance donnée elle s'évanouit.

L'adhérence des particules dépend de la grandeur du contact; les molécules sphériques ne pouvant que très-légèrement se toucher, adhèrent peu, ce qui explique la fluidité.

Ces idées s'éloignent fort peu des nôtres, le contact seul des molécules nous paraît inadmissible.

Il est remarquable que Jean Keill n'applique pas ses principes aux phénomènes capillaires; il mentionne seulement l'ascension de la séve dans les plantes.

Maintenant que nous avons reconnu l'origine de l'idée générale de l'attraction ou de l'idée particulière d'une attraction surpassant la gravité à de très-petites distances, mais absolument insensible à une distance finie, nous

1 Joannis Keill Epistola, in qua leges attractionis aliaque physices principia traduntur. – PHIL. TRANS., 1708, no 315.

pouvons entrer dans l'examen des théories fondées sur ces idées et concernant les phénomènes capillaires.

1

Je ne ferai que mentionner celle de Hausksbée et celle de Jurin 2, théories imparfaites et opposées l'une à l'autre, la première attribuant l'élévation des liquides dans les tubes capillaires à l'attraction de la partie du tube en contact avec le liquide, la seconde l'attribuant à l'attraction du petit anneau du tube situé au-dessus de la colonne liquide.

On trouve un semblable essai de théorie dans le mémoire de Gellert sur la dépression du plomb fondu dans les tubes de verre, travail qui date de 1740.

Ce fut en 1743 que parut la première théorie un peu complète sur l'action capillaire; elle est due à l'illustre Clairaut et elle est insérée dans sa théorie de la figure de la terre. Clairaut ne considère que le phénomène de l'élévation des liquides dans les tubes capillaires, et il traite cette question d'une manière fort remarquable. Il admet que l'attraction du verre et celle de l'eau suivent la même loi, par rapport à la distance, et ne diffèrent que par leur intensité. Il suppose en outre que ces attractions ne sont sensibles qu'à de très-petites distances, ce qui permet de supposer infinies la masse du liquide et celle du tube. En partant de ces principes, il détermine l'équilibre d'un canal infiniment étroit, formé de deux branches verticales et d'une horizontale, la première des deux branches verticales étant située dans l'axe même du tube, la seconde, ainsi que la branche horizontale, en étant assez éloignée pour que son attraction n'agisse pas sur elles. Voici un résumé rapide de son analyse: p, h, k sont les intensités de la pesanteur, de l'attraction du verre et de l'attraction de l'eau; f (x) est l'attraction d'un corps terminé par un plan, sur une molécule située à une distance x de ce plan; cette fonction est indépendante des dimensions de ce corps; f (b, x) est l'attraction d'un cylindre creux de rayon b et terminé par un plan sur une molécule située à la distance x de ce plan. D'après cela, les forces qui agissent sur les deux branches verticales ML, IK (fig. 1) sont :

Phil. Trans., XXVI, no 519.

2 Idem, XXX, nos 355-563.

3 Comment. Petrop, XII (1740). (De phoenomenis plumbi fusi, etc. Gellert, p. 250.)

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