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Anfon, qui montait un vaiffeau de foixante. canons, ayant été rejoint par un autre de fes. vaiffeaux de guerre, & par cette petite fregate nommée l'Epreuve, fit en croisant vers cette Ille de Fernandès plufieurs prifes affez confidera-. bles, mais bientôt après ayant avancé jufques. vers la Ligne Equinoctiale, il ofa attaquer la ville de Paita fur cette même côte de l'Amerique. Il ne fe fervit ni de fes vaiffeaux de guerre ni de tout ce qui lui reftait d'hommes, pour tenter ce coup hardi: cinquante foldats dans une chaloupe à rames firent l'expédition; ils abordent pendant la nuit; cette furprise fubite la confufion, que l'obfcurité redouble, multiplient & augmentent le danger. Le Gouverneur, la ga nifon, les habitants fuyent de tous côtés. Les cinquante Anglais cependant font transporter paifiblement pendant trois jours les tiélors qu'ils trouvent dans la Douane & dans les maifons. Des esclaves négres qui n'avaient pas fui, espèce d'animaux apartenants au premier qui s'en faifit, aident à enlever les richeffes de Nov. leurs anciens Maîtres. Anfon fit réduire Paita 1741. en cendre, & partit, ayant dépouillé auffi aisé

ment les Espagnols, que ceux-ci avaient autrefois dépouillé les Americains. La perte pour l'Espagne fut de plus de quinze-cens mille piaftres par l'incendie: le gain pour les Anglais d'environ cent-quatre-vingt mille; ce qui joint aux prifes précédentes enrichiffait déja l'efcadre. Le grand nombre enlevé par le fcorbut laiffait encor une plus grande part aux furvivans. Cette petite efcadre remonte enfuite vis-à-vis Panama fur la côte où l'on pêche les perles, & s'avance devant Acapulco, au revers du Méxique. Le Gouvernement de Madrid ne favait pas alors le

dan

danger qu'il courait de perdre cette grande partie du Monde. Si l'Amiral Vernon, qui avait affiégé Cartagéne fur la Mer oppofée, eût réusfi, il pouvait donner la main au Commodore Anjon. L'ifthme de Panama était prife à droite & à gauche par les Anglais, & le centre de la domination Espagnole enlevé.

Anfon qui n'avait plus que deux vaiffeaux, le refte étant détruit par les tempêtes, reduifit fes entreprises & fes grandes espérances à fe faifir d'un Galion immenfe que le Méxique envoye tous les ans dans les Mers de la Chine à l'ifle de Manille, l'une des Philippines, ainfi nommées parce qu'elles furent découvertes fous le régne de Philippe II.

Ce Galion chargé d'argent ne ferait point parti fi on avait vû les Anglais fur les côtes, & il ne devait mettre à la voile que longtems après leur départ. Le Commodore va donc traverfer l'Océan pacifique & tous les climats oppofés à l'Afrique entre nôtre Tropique & PEquateur. L'avarice devenue honorable par la fatigue & le danger lui fait parcourir le Globe avec deux vaiffeaux de guerre qui lui restent. Le fcorbut pourfuit encor l'équipage fur ces Mers, & l'un des deux vaiffeaux faifant eau de tous cotés, on eft obligé de l'abandonner & de le bruler au milieu de la Mer, de peur que fes débris ne foient portés dans quelques lles des fpagnols & ne leur deviennent utiles. Ce qui reftait de matelots & de foldats fur ce vaiffeau paffe dans celui d'Anfon. Il n'a plus enfin de fon efcadre que fon feul vaiffeau nommé le Centurion, monté de foixante canons, fuivi de deux espèces de chaloupes. Le Centurion échapé feul à tant de dangers, mais délabré lui-mê

me

me & ne portant que des malades, relâche pour fon bonheur dans une des Ifles Mariannes qu'on nomme Tinian, alors prefque entiérement déferte; peuplée n'aguères de trente- mille ames, mais dont la plupart des habitants avaient péri par une maladie épidémique, & dont le refte avait été tranfporté dans une autre Iffe par les Efpagnols. Le féjour de Tinian fauva l'équipage. Cette Ifle plus fertile que celle de Fernandès, offrait de tous côtés en bois, en eaux pures, en animaux domeftiques, en fruits, en légumes, tout ce qui peut fervir à la nourriture, aux commodités de la vie, & au radoub d'un vaiffeau. Ce qu'on trouva de plus fingulier est une espéce d'arbre dont le fruit reffemble pour le goût au meilleur pain, tréfor réel qui tranfplanté, s'il fe pouvait, dans nos climats, ferait bien préférable à ces richeffes de convention qu'on va ravir parmi tant de périls au bout de la Terre.

De cette Ifle il paffa à celle de Formofe; il cingle vers la Chine, à Macao, à l'entrée de la riviére de Canton, pour radouber le feul vaiffeau qui lui refte.

Le Commodore ayant mis fon vaiffeau en très bon état à Macao par le fecours des Chinois, & ayant reçu fur fon bord quelques matelots Indiens & quelques Hollandais qui lui parurent des hommes de fervice, remet à la voile.

Enfin le 9. Juin 1743. on découvre le vaiffeau Efpagnol tant defiré; il avançait vers Manille monté de foixante-quatre canons; cinq cens-cinquante hommes de combat compofaient l'équipage; le tréfor qu'il portait n'était que d'environ quinze-cens-mille piaftres en argent

avec

avec de la cochenille & des marchandifes, parce qne tout le tréfor qui eft d'ordinaire le double avait été partagé, & que la moitié avait été portée fur un autre Galion.

Le Commodore n'avait fur fon vaiffeau le Centurion que deux-ce s quarante hommes. Le Capitaine du Galion ayant aperçu l'ennemi, aima mieux hazarder le tréfor que perdre fa gloire en fuyant devant un Anglais, & fit force de voiles hardiment pour le venir combatre.

La fureur de ravir des richeffes plus forte que le devoir de les conferver pour fon Roi, l'expérience des Anglais, & les manoeuvres favantes du Commodore lui donnèrent la victoire. 11 n'eut que deux hommes tués dans le combat: le galion perdit foixainte-fept hommes tués fur les ponts, & il eut quatre-vingt bleffés. Il lui reftait encor plus de monde qu'au Commodore; cependant il fe rendit. Le vainqueur retourna à Canton avec cette riche prife. Il y foutint l'honneur de fa nation en refufant de payer à l'Empereur de la Chine les impôts que doivent tous les navires étrangers; il prétendait qu'un vaiffeau de guerre n'en devait pas. Sa conduite en impofa; le Gouverneur de Canton lui donna une audiance à laquelle il fut conduit à travers deux haies de foldats au nombre de dix mille; après quoi il retourna dans fa patrie par les les de la Sonde & par le Cap de BonneEfpérance. Ayant ainfi fait le tour du Monde en victorieux, il aborde en Angleterre le 4. Juin 1744. après un voyage de trois ans &

demi.

Il fit porter à Londres en triomphe fur trentedeux chariots, au fon des tambours & des trom

pet

pettes & aux acclamations de la multitude, les richeffes qu'il avait conquifes. Ses différentes prises se montaient en argent & en or à dix millions monnoie de France, qui furent le prix du Commodore, de fes Officiers, des matelots & des foldats, fans que le Roi entrât en partage du fruit de leurs fatigues & de leur valeur. Ces richeffes circulant bien-tôt dans la nation contribuèrent à lui faire fuporter les fraix immenfes de la guerre.

CHAPITRE CXCIII.

DE

LOUIS-BOURG

OU CAP-BRETON

ET DES PRISES IMMENSES

QUE FIRENT LES ANGLAIS.

UN

Ne autre entreprife commencée plus tard que celle de l'Amiral Anfon, montre bien de quoi eft capable une nation commerçante à la fois & guerriére: je veux parler du fiége de Louis-bourg; ce ne fut point une opération du cabinet des Miniftres de Londres: ce fut le fruit de la hardieffe des Marchands de la Nouvelle-Angleterre. Un fimple Négociant nommé Vaugan propofe à fes concitoyens de la Nouvelle - Angleterre de lever des troupes pour affiéger Louis-bourg. On reçoit cette idée avec acclamation. On fait une Loterie dont le

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