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cit, et il est plutôt dans son livre le rapporteur que le juge de ce grand procès. Mais il a su joindre aux réflexions neuves et utiles que put lui fournir un sujet si grave, plusieurs définitions remarquables, des traits heureux et quel ques pages éloquentes, auxquelles on aurait pardonné sans doute, si l'on n'eût pas eu à reprocher à l'auteur une philosophie trop libérale. On convient toutefois qu'il sut retrouver l'imagination, la facilité de sa brillante jeunesse dans des contes et dans divers morceaux fort ingénieux, mais dont la concision n'est pas le mérite le plus frappant. Il avait été admis à l'institut en 1804. C'est en 1805 qu'il y prononça l'éloge du maréchal de Beauveau, pièce véritablement remarquable dans ce genre, pièce abondante en traits d'esprit, de philosophie et de sentiment. L'éloge de l'abbé Barthélemy, qu'il prononça l'année d'après, n'obtint pas autant de succès, par cela même qu'il n'y avait que de l'esprit, et qu'il y en avait trop. On cite comme un exemple de cette recherche, qui est le défaut de son talent, ce petit madrigal de circonstance; il rencontra, chez la princesse Elisa, Jérome Bonaparte, revenant d'une croisière dans la Méditerranée; il écrivit ;

Sur le front couronné de ce jeune vainqueur
J'admire ce qu'ont fait deux ou trois ans de guerre;
Je l'avais vu partir, ressemblant à sa sœur,
Je le vois revenir, ressemblant à son frère.

Il y a dans ces vers un peu d'adulation; mais enfin beaucoup d'hommes attachés à l'ancienne cour se décidaient alors, sinon à dire des choses aussi jolies, du

T. III.

moins à en répéter d'aussi flatteuses. Le chevalier de Boufflers ne connaissait point de passions haineuses; peut-être ne remarquait-on pas une grande fermeté dans ses habitudes personnelles, mais il conservait à l'égard des autres la plus sincère indulgence. Cette même bonté, qui l'empê~ chait d'être extrême en aucune chose, donna l'idée d'une sorte de portrait dont il n'eût pas pris la peine de conserver du ressentiment: Abbé libertin, militaire philosophe, diplomate chansonnier, émigré patriote, républicain courtisan. Il existe une collection de ses œuvres, 8 vol. in12, Paris, 1815. Si on en retranchait quelques parties, la réputa tion littéraire de l'auteur ne pourrait qu'y gagner. Sedaine avait fait, sur le joli conte d'Aline, reine de Golconde, un opéra que soutenait la musique de Monsigny, et qu'on a remplacé au théâtre par celui de MM. Vial et Favières, musique de M. Berton, La correspondance du chevalier de Boufflers, datée de Genève et de Ferney, pourrait seule donner une idée du caractère de l'auteur; elle contient de plus des détails sur Voltaire, qui l'aima beaucoup, et sur d'autres personnages qui étaient réunis alors chez l'illustre vieillard. Lorsqu'en 1813, on mità Vincennes, par ordre de l'empereur, le comte de Sabran, que le chevalier de Boufflers regardait comme son fils adoptif, et dont il chérissait l'esprit distingué, il était dans l'âge où de fortes secousses ne sont pas sans danger. Il mourut le 18 janvier 1815: il repose auprès de l'abbé Delille;

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on a écrit sur la colonne qui porte son nom, ce mot qui est réellement de lui, et qui rappelle si bien l'aménité de ses mœurs et le calme de sa pensée : Mes amis, croyez que je dors.

BOUGAINVILLE (LOUIS-ANTOINE DE), sénateur, comte de l'empire. Il était fils d'un notaire de Paris. Il naquit le 11 novembre 1729. Déjà fort instruit dans les sciences exactes et les langues anciennes, il quitta ses études à l'âge de 22 ans, et moins par goût que par condescendance pour sa famille, il se livrait avec un succès rapide au travail assidu que demande le barreau; mais reçu avocat au parlement de Paris dès l'année suivante, il se fit inscrire aussitôt dans les rangs des mousquetaires noirs. Cette dernière profession avait plus d'analogie avec la carrière dans laquelle il devait s'illustrer. Quinze jours après sa réception, il publia la première partie du Traité du calcul intégral pour servir de suite à l'analyse des infiniment petits du marquis de l'Hôpital, 2 vol. in 4°, Paris, 1752. Après avoir été aide-major dans le bataillon provincial de Picardie, et aide-decamp du fameux Chevert, auprès de Sarre-Louis, en 1754, il fut envoyé à Londres, l'hiver suivant, en qualité de secrétaire d'ambassade; il y resta peu de temps, mais il y fut admis à la société royale. Ayant repris, en 1755, les fonctions d'aide-de-camp, déjà il avait suivi Chevert aux camps de Richemont et de Metz, lorsqu'il fut envoyé au Canada comme capitaine de dragons et aide-de-camp du marquis de

Montcalm. Il partit de Brest le 27 mars 1756. Vers la fin de cette année, on lui confia un corps d'élite, avec lequel, après une marche forcée de soixante lieues, à travers des neiges épaisses et des bois presque impénétrables, il brûla, au fond du lac du Saint-Sacrement, plusieurs navires anglais, sous le feu des batteries d'un fort. Sa belle conduite, dans cette occasion difficile, fut récompensée par le grade de maréchalde-logis du principal corps de P'armée. Le 6 juin 1758, une division était vivement harcelée par 24,000 Anglais, et les Français n'étaient que 5,000. Le jeune Bougainville voulut attendre l'ennemi; en un seul jour, il fortifia un camp dans lequel il se défendit pendant douze heures. Quoiqu'il eût reçu un coup de feu à la tête, il ne cessa point de se montrer successivement aux postes les plus périlleux; son exemple encouragea tellement sa troupe, qu'enfin l'ennemi se retira avec une perte qu'on porta à 6,000 hommes. Cependant Montcalm, reconnaissant l'impossibilité de se maintenir dans le Canada s'il ne recevait point de renforts, envoya à Paris son aide-de-camp. Cette mission était difficile; les revers éprouvés par la France en Europe avaient mal disposé le premier ministre, M. de Choiseul, qui même lui dit assez brusquement: «Lorsque le feu est à »la maison, on ne s'occupe guè»re des écuries. >> «Au moins, »monsieur, répondit Bougainvil

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comme capitaine de dragons et aide-de-camp du marquis de

»lez comme un cheval.» Cette repartie ne devait pas lui rendre le

Bougainville

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