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« Le salut de l'État et le bonheur de Votre Majesté sont intimement liés: aucune puissance n'est capable de les séparer; de cruelles angoisses et des malheurs certains environneront votre trône, s'il n'est appuyé par vous-même sur les bases de la constitution et affermi dans la paix que son maintien doit enfin nous procurer.

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« Ainsi, la disposition des esprits, le cours des choses, les raisons de la politique, l'intérêt de Votre Majesté, rendent indispensable l'obligation de s'unir au Corps législatif et de répondre au vœu de la nation; ils font une nécessité de ce que les principes présentent comme devoir; mais la sensibilité naturelle à ce peuple affectueux est prête à y trouver un motif de reconnaissance. On vous a cruellement trompé, sire, quand on vous a inspiré de l'éloignement ou de la méfiance de ce peuple facile à toucher; c'est en vous inquiétant perpétuellement, qu'on vous a porté à une conduite propre à l'alarmer lui-même. Qu'il voie que vous êtes résolu à faire marcher cette constitution à laquelle il a attaché sa félicité; et bientôt vous deviendrez le sujet de ses actions de grâces.

« La conduite des prêtres en beaucoup d'endroits, les prétextes que fournissait le fanatisme aux mécontents, ont fait porter une loi sage contre les perturbateurs : que Votre Majesté lui donne sa sanction! La tranquillité publique la réclame, et le salut des prêtres la sollicite. Si cette loi n'est en vigueur, les départements seront forcés de lui substituer, comme ils font de toutes parts, des mesures violentes; et le peuple irrité y suppléera par des excès.

<< Les tentatives de nos ennemis, les agitations qui se sont manifestées dans la capitale, l'extrême inquiétude

qu'avait excitée la conduite de votre garde, et qu'entretiennent encore les témoignages de satisfaction qu'on lui a fait donner par Votre Majesté, par une proclamation vraiment impolitique dans la circonstance; la situation de Paris, sa proximité des frontières, ont fait sentir le besoin d'un camp dans son voisinage. Cette mesure, dont la sagesse et l'urgence ont frappé tous les bons esprits, n'attend encore que la sanction de Votre Majesté. Pourquoi faut-il que des retards lui donnent l'air du regret, lorsque la célérité lui gagnerait tous les cœurs! Déjà les tentatives de l'état-major de la garde nationale parisienne contre cette mesure, ont fait soupçonner qu'il agissait par une inspiration supérieure; déjà les déclamations de quelques démagogistes outrés réveillent les soupçons de leurs rapports avec les intéressés au renversement de la constitution; déjà l'opinion compromet les intentions de Votre Majesté; encore quelque délai, et le peuple contristé verra dans son roi l'ami et le complice des conspirateurs !

Juste ciel auriez-vous frappé d'aveuglement les puissances de la terre? et n'auront-elles jamais que des conseils qui les entraînent à leur ruine?

« Je sais que le langage austère de la vérité est rarement accueilli près du trône; je sais aussi que c'est parce qu'il ne s'y fait presque jamais entendre, que les révolutions deviennent nécessaires; je sais surtout que je dois le tenir à Votre Majesté, non-seulement comme citoyen soumis aux lois, mais comme ministre honoré de sa confiance ou revêtu de fonctions qui la supposent; et je ne connais rien qui puisse m'empêcher de remplir un devoir dont j'ai la conscience.

« C'est dans le même esprit que je réitérerai mes

représentations à Votre Majesté, sur l'obligation et l'utilité d'exécuter la loi qui prescrit d'avoir un secrétaire au Conseil. La seule existence de la loi parle si puissamment, que l'exécution semblerait devoir suivre sans retardement ; mais il importe d'employer tous les moyens de conserver aux délibérations la gravité, la sagesse et la maturité nécessaires : et pour des ministres responsables, il faut un moyen de constater leurs opinions; si celui-là eût existé, je ne m'adresserais pas par écrit en ce moment à Votre Majesté.

<< La vie n'est rien pour l'homme qui estime ses devoirs au-dessus de tout; mais après le bonheur de les avoir remplis, le bien auquel il soit encore sensible est celui de prouver qu'il l'a fait avec fidélité; et cela même est une obligation pour l'homme public.

« Le 10 juin 1792, l'an IV de la liberté.

« Signé: ROLAND. »

N VII (Page 87).

AUX CORPS

ADMINISTRATIFS.

Paris, le 13 août 1792.

Dans un temps de révolution, messieurs, chaque jour amène des événements nouveaux et frappants qui ne semblent pas tenir à ceux de la veille. La scène varie; les individus changent de place; les esprits s'étonnent, et chacun éprouve des sentiments profonds, analogues aux principes qu'il a adoptés ou aux passions qui le

dominent. L'admiration et l'effroi se répandent en même temps; l'homme même qui s'oublie entièrement dans les grands intérêts de la patrie, n'est point inaccessible à ces affections naturellement produites par de grands mouvements; mais tout se tient dans le monde moral et politique, comme dans la chaîne des êtres physiques; et malgré les transitions brusques ou imperceptibles de certaines choses, leur majeure partie peut être prévue et calculée par l'homme réfléchi, qui rapproche avec impartialité l'expérience des siècles passés de la situation du moment. Cette prévoyance, il faut l'avouer, demande trop de philosophie et de désintéressement pour avoir jamais été l'attribut des Cours, séjour malheureux de l'erreur et des passions aveugles. L'habitude du pouvoir entraîne presque toujours l'audace de tout prétendre et la présomption du succès: plaignons les infortunés que cette habitude aveugla dès l'enfance; elle prépara leur ruine dans un siècle de lumières. Soyons assez sages pour prémunir contre elle tout homme isolé; redoutons-la pour nous jusqu'au scrupule, et sachons nous appliquer avec sévérité les importantes leçons que nous donne notre propre histoire

Le despotisme fut détruit en 1789; mais 1792 sera l'époque du règne de l'égalité. Un peuple fier et brave a démontré qu'il voulait l'établir et qu'il saurait la conserver. Son courage annonce à l'univers qu'il n'a rien à redouter, et qu'on est sûr de tout vaincre quand on est résolu à se sacrifier.

Rappelé de ma retraite au département de l'intérieur, je rentre dans la lice, sans me dissimuler les dangers du combat. J'avais été porté la première fois au minis

tère sans l'avoir ambitionné; je m'étais efforcé sans terreur d'en remplir les devoirs, et je m'en étais vu décharger sans regret. J'accepte de nouveau cette grande tâche tout citoyen doit envisager du même œil et embrasser avec le même calme, et les grands travaux, et la gloire et la mort, sans les rechercher ni les craindre. Mon premier soin, dans cette carrière, est de m'adresser à tous ceux à l'aide de qui je dois la parcourir. Je viens vous entretenir, messieurs, avec cet abandon cher à l'homme sensible et loyal, avec cette franchise, seule digne de la liberté, qui ne connaît point les détours de ce qu'on appelait autrefois petitement la politique, parce que, n'ayant pour but que le bonheur commun, elle n'a rien à taire ni à cacher.

Nous avons tous à remplir des devoirs, sinon également étendus, du moins également respectables et touchants. Appelés par la confiance du peuple au soin glorieux de faire exécuter les lois pour sa félicité, pénétrons-nous de cette auguste destination. Eh quoi! l'espérance d'un bonheur particulier dans un avenir lointain peut faire des fanatiques, et la confiance d'assurer celui de vingt millions d'hommes ne trouverait pas des enthousiastes!

Malheur au froid égoïste dont le cœur ne s'émeut pas à cette douce idée ! Il ne méritait point de voir une patrie lui sourire, et il ne connaîtra jamais le charme de se dévouer pour elle.

Messieurs, nous ne devons pas nous le dissimuler, les derniers et sanglants efforts du peuple irrité n'auraient pas été nécessaires, si tous ceux qu'il avait investis de sa confiance l'eussent justifiée; si tous ses mandataires s'étaient souvenus qu'ils devaient leur existence, comme

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