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fère de la nôtre comme leur pays, leurs mœurs et leur type; la couleur cependant est une qualité qui est commune à l'Italie et à la Flandre, mais quelle différence dans le procédé comme dans les tendances!

Sous la domination de la famille de Charles V, l'Espagne pourrait venir se mêler à nos peintres: en effet, les deux nationalités s'étaient pour ainsi dire fondues; mais le tempérament naturel produisait néanmoins des manifestations dissemblables; car les effets piquants, vigoureux, l'aspect sombre des idées et de la couleur, la chaleur et l'énergie des tons, habituels aux uns, ou bien leur mate finesse, forment contraste avec la fraîcheur flamande, la lumière franche, large, brillante et les touches fines et relevées des autres.

Il existe cependant une école à côté de la nôtre qui, plus que toute autre, a une évidente affinité avec nos procédés, nos idées, notre sentiment et notre caractère, c'est celle de la Hollande, à laquelle nous réservons un chapitre spécial. Examinons d'abord les rapports de l'art français avec l'art belge. Avant la grande époque de Louis XIV, la France a peu de maîtres qu'elle puisse placer en parallèle avec la nombreuse phalange déjà produite par la Belgique depuis l'invention de la peinture à l'huile. Aussi convient-il de s'occuper de cette époque surtout, pour nous rendre compte des inspirations de l'école, dégagée alors de l'influence étrangère. Nous voyons paraître en première ligne Lebrun, Mignard, Vouet, Lesueur, Poussin, Claude, et ensuite Largillière, Coypel, Varin, Oudry, Jouvenet, Courtin, etc., assurément tous hommes. d'un talent remarquable et plusieurs d'un véritable génie. Que nous montre cette réunion de peintres d'un même pays et d'un même siècle? D'abord, peu de tendance vers la nature ou plutôt la naïveté; et toujours, un but principal: l'effet, la grandeur et l'éblouissement du public; ce sont à peu près les qualités de l'art décoratif. Aussi quelle partie de l'art a plus prospéré, produit plus de chefs-d'œuvre encore admirables de nos jours, que la décoration dans les palais de Louis XIV?

Lepautre, qui a exercé une grande influence sur ses contemporains comme dessinateur, Lebrun, Pujet, Lemoine, n'étaient-ils pas de vrais décorateurs, et n'ont-ils pas laissé des modèles du genre, qu'a renouvelés depuis Abel de Pujol? Dans ce siècle, les Lenain seuls donnent l'idée la plus vraie possible de la nature, et à ce titre, en France même, on les compare avec orgueil TOME XXXII.

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aux Flamands; mais, il faut l'avouer, la décoration repose essentiellement sur un système de convention, défaut qui saute aux yeux et auquel un esprit inquiet, remuant, doué d'une rare facilité, dispose naturellement les artistes français. Leur légèreté est aussi sensible dans leur peinture : étudiez un tableau français et n'importe quel flamand qui s'en rapproche, vous trouverez chez le premier souvent le même effet sans aucun détail, sans aucune étude; et chez le second, un travail ardu, persévérant, soutenant l'examen minutieux, enfin, une œuvre de longue haleine. Ils ont l'habileté de jouer sous jambe certaines difficultés en attirant l'attention sur un autre point qu'ils savent traiter; ils ont ce défaut de conscience qui n'est point facile à acquérir et que le langage artistique n'a pu caractériser que par le nom de chic. La gràce est aussi plus leur fait que le nôtre chez nous plus de fond, chez eux plus de forme. La couleur française a une certaine sécheresse; ce moelleux de la carnation flamande lui manque, à cause du modelé incessant qui tend à fondre tous les tons et leur fait perdre leur pureté : les Français usent trop du procédé, des tours de force: ils voient l'art seul dans l'art, et point la nature.

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On voit, vers le règne de Louis XV, à quel point le caractère français peut devenir affecté, systématiquement esclave de la mode; où trouver en effet l'ombre du naturel dans les nombreux ouvrages de Boucher, Watteau, Lancret, Van Loo, etc., estimés cependant alors, ainsi qu'ils le sont aujourd'hui, comme ayant une véritable valeur artistique? Mais en eux tout est système, tout est sacrifié à l'envie de plaire ou plutôt de réunir les tons les plus faux, les dessins les plus impossibles, les attitudes et les sujets les plus invraisemblables; et tout cela semble, pour une époque du moins, la vraie école française. Heureusement qu'en même temps on trouve, pour relever le goût, Greuze, un peu plus naïf, Chardin, vraiment consciencieux, et qui porte moins que tout autre les défauts de son siècle.

Enfin, avec l'empire, rénovation complète d'idées : la tendance en est-elle changée? Non, car en suivant une impulsion plus grande à la recherche du vrai beau, on est encore néanmoins tombé dans le système; en voulant faire de l'antique, on a souvent touché à faux: le goût passager l'emporte presque toujours. Il y a cependant une affinité remarquable en fait de dessin, de

noblesse et d'entente de composition entre Girodet, David, Prudhon, Gérard, Gros et quelques autres de la même époque, et c'est là un caractère national. Les Français ont du rapport avec l'école romaine, sèche et dure, grise et sans couleur, mais noble ou gracieuse de dessin et d'expression. Ils considèrent l'effet en peinture ainsi qu'en dessin comme un contraste entre le foncé et le clair, et dans la composition, par conséquent, ne recherchent que la ligne heureuse et la distribution de la lumière; la couleur est chez eux généralement accessoire, car ils ont déjà assez d'occupation à diriger et ménager les ombres portées, le clair et l'obscur, de manière à équilibrer le rendu de leur sujet. L'ombre est noire, sans transparence, ce qui produit souvent tache dans la masse claire, et, dans tous les cas, ternit la couleur générale d'un tableau.

Nous n'avons pas parlé encore de l'Angleterre qui, sans avoir eu jusqu'ici une place marquante dans la peinture, n'en a pas moins un grand nombre d'œuvres d'art et quelques hommes de mérite à nous offrir. L'Angleterre n'a pas d'école : chacun a suivi sa voie, et pourtant ses peintres ont tous un cachet de nationalité très-facile à découvrir; c'est peut-être le peuple le plus original, tant dans l'art que dans toute autre faculté humaine. Ils adorent la nature, la suivent et l'imitent, mais c'est leur nature, la nature au point de vue anglais, ce qui frappe au premier moment tout œil étranger.

La couleur est fraîche de ton, brillante, agréable, mais l'effet est fort rare; il semble qu'ils procèdent par détail et que, tous les détails bien terminés, on ne retrouve plus l'ensemble: il y a, il est vrai, des exemples contraires ; l'éclectique Joshua Reynolds, Hogarth, Martin, ont parfaitement connu la valeur de l'effet; mais Benj. West, dans ses grandes compositions, Barry, dans ses tableaux allégoriques, n'ont pu s'empêcher d'abonder en détails souvent inutiles ou nuisibles. Le dessin anglais est roide; la grâce voluptueuse, la morbidezza des Italiens, l'énergique vivacité de la France, leur sont inconnues. Cependant un sentiment sincère de la nature anime beaucoup de leurs productions, quand ils ne se laissent pas aller à un parti pris ou une méthode; ils sont consciencieux, exacts, tant pour le dessin que pour la couleur; leur défaut est de pousser trop loin cette qualité; l'amour des détails les emporte hors des masses; les points brillants, les petits reflets, les jeux de

lumière, marqués partout et passant également sur tous les objets, ne laissent plus de place pour le large effet d'une lumière franche et uniforme. Chez nous, sans être concentré, comme dans les tableaux hollandais et espagnols, l'effet met l'objet principal en lumière ou dans l'ombre, et l'on peut d'un coup d'œil se rendre compte des masses claires et foncées. Chez les Anglais, le clair est partout, l'ombre aussi, il n'y a rien qui attire et tout est également traité. Leurs tableaux ne sont pas des aspects, c'est un assemblage d'études quelquefois superficielles, souvent approfondies. Ils sont cependant enclins aussi à la convention, comme les Français, mais par un défaut contraire, leur difficulté d'exécution, qui les engage à suivre une méthode. Pour la composition, s'élevant rarement à des idées hors du cercle des objets environnants, ils ont cependant un profond moraliste, Hogarth, qui a su faire de l'allégorie dans le réel et qui porte complétement l'empreinte du caractère anglais : on remarque chez lui le goût des détails et l'étude dans la moindre signification de chacun d'eux; une certaine roideur, peu de grâce et plutôt un penchant vers l'étrangeté.

L'Italie nous présente trois écoles principales qui diffèrent totalement entre elles et bien plus avec la nôtre. Les Romains sont pour ainsi dire nos antipodes. Leur école tout idéale, l'antique rajeuni, le culte du beau classique, un dessin sévère et noble au service d'une inspiration élevée, ne peut en aucune façon se rapporter à la simple nature, à l'aspect pittoresque trouvé sans recherche, qui est le criterium de l'art flamand. De plus, on n'a jamais cherché à mettre en avant un coloriste parmi le cortège d'artistes qui entourent Raphaël et Michel-Ange: la fresque est plutôt leur élément.

Les Lombards sont la transition entre Rome et Venise: tout en dessinant plus noblement que celle-ci, plus moelleusement, ils ont des couleurs fondues, légèrement touchées, des tons gris, fins et moins variés que chez les Vénitiens; ils peuvent rivaliser avec ceux-ci pour la couleur, mais ils sont plus sobres et savent surtout tirer parti du modelé et du clair-obscur. On ne trouve pas chez nous cette simplicité de coloris, cette harmonie des grands tons généraux d'une composition. A côté d'un tableau flamand, un Corrége semble presque une grisaille, tant l'effet est dans la lumière et tant chez nous le choix des couleurs est varié.

Mais tel n'est pas le cas, si nous mettons en parallèle un Rubens et un Véronèse, par exemple. Cette grande école vénitienne, qu'on dit avoir eu tant d'influence sur le chef de notre école, a en effet une grande connexité avec toutes nos aptitudes : la nature est son but, son modèle; la couleur est son moyen; son désir, la vérité.

Les Vénitiens font de la couleur dans le choix des tons de leur composition; ils étendent cette qualité aux plus petits tons de leurs personnages. Tout cela se rapporte également à la peinture flamande; mais ce que nous ne pouvons représenter, c'est la chaleur de la carnation italienne, la mate finesse ou la sombre énergie de cette couleur causée par le climat; ce que nous ne possédons pas, c'est cette science de procéder par glacis, de produire des effets d'une force extraordinaire, après coup, par comparaison, en couvrant d'un voile transparent une partie ou trop claire ou trop faible; la couleur des Vénitiens réside dans les tons gris rompus, dans le mélange extrême des nuances. La nôtre est plus simple, plus franche, plus pure, depuis les grands tons généraux jusqu'aux détails : les glacis sont très-rares; les couleurs les plus variées sont franchement juxtaposées sans se heurter; mais dans les deux écoles, une lumière large est prise pour base et, d'un bout à l'autre du tableau, éclaire la composition entière sans effet concentré.

L'Italie a encore donné le jour à une autre école, celle de Bologne, qu'on pourrait nommer la fusion des trois autres. En effet, les Carrache, comme on sait, inculquaient à leurs élèves ce principe d'éclectisme qui fait ressembler l'un à un Parmesan avec un dessin plus vigoureux, l'autre à un élève de Raphaël avec un sentiment de coloris plus développé; mais en tout cas, il serait difficile de confondre avec les reflets colorés, transparents, la carnation blanche et claire de la Flandre, ces ombres noires et opaques, ces clairs dorés et chauds de ton qui sont le caractéristique des œuvres que nous examinons.

On dirait que les Espagnols sont aux Vénitiens ce que les Hollandais sont aux Belges moins de dessin, plus de nature, si l'on entend par là le côté trivial, ou la nature prise au hasard; ce qu'on a, de nos jours, caractérisé par le mot réalisme. Tout leur est bon, tout est sujet à études, mais ce ne sont presque toujours que des études qu'ils produisent en effet, on trouve à

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