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clair; ombre bitumineuse et peu de reflets. Leur effet est plus visible, plus marqué; s'il y a moins de tons divers, ceux-ci sont plus rompus; l'absence de cette transition bleuâtre, ou plutôt de contraste entre le clair et sa demiteinte, leur donne peu de tons charnus ; ils imitent plutôt le bois, d'autant plus que leur pâte est souvent lourde; ils travaillent beaucoup sur un fond bitumineux. Comme ils peignent en clair sur un fond sombre, ils n'arrivent qu'au ton de demi-teinte, car leurs clairs restent en rapport avec le ton primitif, tandis que nous faisons une distinction frappante entre le clair et l'ombre.

Quelques Vénitiens ont peint aussi en demi-teinte, mais alors leur effet n'est pas piquant l'ombre se fond poétiquement avec le clair, comme chez Giorgion, sans touches lumineuses, en restant dans les tons gris, mais avec des nuances fortes et chaudes que ne peuvent atteindre que très-rarement les Néerlandais, malgré la profondeur de leurs ombres. Un Flamand vous présentera souvent, à côté d'un ton clair jaune presque pur, une demi-teinte franchement bleuâtre chez nos voisins, il est presque impossible de trouver de pareils exemples.

Mieris nous offre des tons fins sans l'éclat, le brillant des clairs ni la variété des couleurs. Tandis que Brauwer, quoique devenu hollandais, a gardé ce goût de contraste, avec sa facilité de touche; son rival Jean Steen est infiniment plus massif, plus lourd: il semble que sa brosse ne se détache point de la pâte.

Teniers est plus noble que Van Ostade, moins caustique, moins chargé, plus naturel et naïf; sa couleur s'arrondit moins, mais il est large d'effet, lumineux. Ostade (Adrien), en revanche, est piquant d'effet et de formes, plus sombre, accusé et sobre de couleurs; ombres bitumineuses.

Metsu a un modelé plus travaillé, possédant une meilleure entente de la dégradation et de la force des tons identiques; il est plus massif, plus rond et s'occupe davantage du clair-obscur. Mais c'est surtout dans la peinture de fleurs qu'on peut faire un examen de la couleur : car Zegers, Van Son, Van Dael, Breughel, Lambrechts d'un côté, Rachel Ruysch, Van Huysum, De Heem, de l'autre; Van Spaendonck, qui forme le trait d'union des deux écoles, peuvent facilement faire distinguer, au milieu des tons les plus frais, chez les

Hollandais, le fini, l'harmonie sobre des tons, l'effet concentré, le demi-jour, une lumière vague et poétique et peu de choix dans le dessin et le groupé ; chez nous, au contraire, l'intention, le choix et la disposition, la lumière large et vigoureuse, les tons vifs et variés, une certaine largeur de brosse qui exclut un grand fini. La peinture de fleurs nous semble contraire au tempérament hollandais, qui cherche l'effet concentré (ici nous ne parlons pas de nature morte). Quand ils veulent employer la couleur en mosaïque, pour ainsi dire, qu'exigent les fleurs, les Hollandais sont souvent heurtés, si l'ombre ne leur vient pas en aide pour modeler, et les fleurs ont besoin de la pleine lumière.

Les Flamands mettent la clarté partout, mais par là leurs tableaux de fleurs sont souvent plats, n'empruntant leur charme qu'à l'harmonie des

tons.

L'instinct de la nature guide notre dessin, et nous ne cherchons guère autre chose que sa reproduction les Hollandais cherchent ou acceptent le trivial: il leur est difficile de produire un dessin noble, correct, grandiose. Ils peignent sans dessin, et nous en dessinant. Ils y gagnent quelquefois en attrait et en finesse, surtout dans leurs petits tableaux ; mais on ne peut nier que le dessin de nos Teniers, Breughel, Vinckeboom, Van Nieuwlandt, sans être aussi caractéristique, ne porte avec lui un talent d'observation inimitable, un sentiment de la nature souvent délicat et s'élevant parfois jusqu'à la noblesse, jusqu'à l'élégance, ce qu'on peut rarement accorder à nos voisins.

Une preuve à l'appui de notre opinion, c'est que, parmi les gothiques c'est-à-dire depuis Van Eyck jusqu'à Van Orley, alors que la religion était la même et qu'une communauté de mœurs, de tendances et de maîtres devait en quelque sorte passer un niveau sur l'expression artistique, on distingue encore aisément les peintres hollandais des flamands, en suivant les caractères que nous venons d'énoncer.

Ainsi, quand on compare un tableau de J. Mostaert avec d'autres, dus à des Flamands du même style, on voit une tendance vers l'effet concentré qui lui est commune avec J. Swart, avec L. Van Noort, tandis que chez Vander Goes, Gossart, Vander Weyden, l'effet et l'équilibre restent toujours dans la

couleur et non dans le clair-obscur; on peut reconnaître le peu de souci qu'ils ont eu des effets de lumière, car presque tous leurs tableaux sont éclairés par devant ou par une lumière uniforme. Ils nous présentent aussi généralement cette diversité dans le choix des tons, même Vander Weyden, dans les quelques tableaux où il a travaillé les tons gris fins.

Comme dessin, Heemskerk, Mostaert, nous offrent une ligne moins dure et qui semble plus fondue; le premier est complétement hollandais, sans avoir pourtant l'effet de lumière (qualité que A. Grimmer semble avoir accaparée parmi les gothiques). Il est trivial, mou de contours, rond et modelé, gris de tons. Mostaert, lui, est lourd, tout est un peu bois chez lui; il a un grand modelé, une grande harmonie, mais dans les tons gris et les couleurs sombres on trouverait chez lui très-peu de couleurs éclatantes et encore moins de lumières vives. A l'encontre, enfin, de tous nos peintres, les Hollandais nous présentent une unité de tons réveillée simplement par quelques rehauts; aucune idée de reflet, mais souvent un véritable relief.

RÈGLES ET CARACTÈRES CONSTITUTIFS DE L'ART FLAMAND.

La peinture flamande exclut toute convention : par cela même on croirait que l'originalité doit être extrême et variée dans chaque artiste, et cependant il est des règles constantes, sûres, auxquelles, malgré eux et sans en avoir été avertis, les peintres flamands ne font jamais défaut; ces règles sont tirées, non-seulement de la nature en général, mais de l'examen attentif de la nature sous le ciel flamand avec les idées flamandes. Essayons de les exposer ici, telles que nos comparaisons multipliées les ont présentées à notre jugement.

La patience est la première des vertus flamandes de là, une sorte de travail de mosaïque dans les trois branches que nous allons examiner. En effet, les tons se juxtaposent l'un d'après l'autre, et nous oserions affirmer que chaque objet ou personnage d'une composition s'y met de même l'un d'après l'autre, le tout s'enchaînant ainsi pour obéir à une sorte d'intuition existant dans l'esprit du peintre.

COMPOSITION.

Naïveté et pittoresque.

Un sentiment vrai de la nature a toujours été le premier caractère des tableaux de notre école chez les uns exagéré peut-être et tombant dans le trivial, chez d'autres mitigé par l'éducation, les voyages ou une étude plus approfondie de l'une ou de l'autre école étrangère. Ce caractère est incontestable dans les peintres gothiques; avec quelque attention, on le retrouve encore dans les maîtres de la renaissance, qui, malgré leur imitation de l'Italie, s'attachèrent surtout au côté naïf et gracieux que présentait la peinture de cette école. Où il existe encore sans contredit, c'est chez les peintres de genre qui suivirent l'époque de Rubens. A ce nom, une objection sérieuse se présente cependant peut-on juger comme naïves les productions de Rubens et des autres peintres d'histoire que forma son génie et qui suivirent ses traces? Oui, répondrons-nous au centre de la grandeur déployée dans ses magnifiques compositions par le roi des peintres, ainsi qu'au milieu de l'aristocratique élégance de Van Dyck, on découvre toujours un sentiment intime de la nature, soit qu'il se révèle par une Madeleine échevelée, implorant les bourreaux du Christ qu'elle aime de toute la puissance de sa double nature, soit qu'il se traduise par un ange en deuil versant des larmes sur le corps détaché du Sauveur, soit enfin qu'il résulte d'un détail qui semblerait trivial dans tout autre et qui s'ennoblit au contraire par le sentiment expressif.

Pittoresque au plus haut point, la composition flamande doit cette qualité à sa couleur; la recherche de la couleur fait trouver l'effet d'ensemble, disparaitre la convention; et quoi de plus artistique que la couleur dans les procédés de l'art? Aussi la grandeur magistrale de la ligne, la recherche de la forme, la noblesse, l'idéalisme enfin ne sont pas souvent du domaine de nos peintres.

La partie de la peinture d'histoire commune avec la sculpture n'a jamais intéressé des hommes que leur instinct naturel porte à admirer les nuances

les plus délicates et l'harmonie des tons éclatants qu'offrent à leurs yeux la nature humaine aussi bien que le paysage et le ciel. Cependant, la grandeur leur manque-t-elle absolument? Non certes, et sauf quelques maîtres italiens, il n'y a pas d'exemples de compositions plus magistrales, plus frappantes à la première vue que celles de quelques-uns de nos maîtres; mais ;. c'est à la couleur seule, c'est à l'aspect qu'ils doivent cet avantage, qui ne résulte point de l'ordonnance du tableau.

Largeur de la lumière.

Ici nous abordons un des principaux caractères de l'école: la distribution de la lumière dans la composition. De quels exemples admirables ne pouvonsnous pas nous étayer pour mettre en parallèle les chefs-d'œuvre flamands avec ceux de l'Italie, de l'Espagne, de la Hollande, etc., où certains peintres semblent avoir joué avec le soleil lui-même, pour produire l'effet qu'ils désiraient! Mais dans le Midi comme en Hollande, sous des ciels opposés, les effets ont été à peu près identiques : l'énergie du soleil de la Méditerranée a produit, par ses contrastes d'ombre, des effets piquants, une force étonnante, que l'on retrouve avec surprise sous le climat brumeux et froid de la Hollande ici, par le moyen de l'ombre, là, par l'effet du soleil.

Rien de semblable chez nous. Une lumière large, étendue, brillante, générale, où la couleur fait plus pour les contrastes que le défaut de lumière; un clair-obscur formé par le ton lui-même, tel qu'un Véronèse peut l'avoir imaginé; un effet calme, trouvé sans recherche, tranquille comme un Velasquez, comme certains Titiens ou Giorgions, mais sans cette sombre profondeur qu'acquiert chez eux le jour, privé de leur soleil éclatant. Chez nous, la lumière joue, touche, effleure tout chaque objet a son clair, son ombre, ses demi-teintes, ses reflets et ses points brillants, mais elle reste à la surface.

Dans le Midi, elle semble entrer dans les objets, se perdre dans leur profondeur tout est mat. Ici, tout est luisant, poli, brillant. De là, une différence d'effets de composition. Les Flamands semblent vouloir reproduire un aspect qu'ils ont vu, sans songer à distribuer la lumière à tel ou

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