Page images
PDF
EPUB

Mem. court. XXXII.

P. 24t

B

sombre et bleuàtre au clair de lune. Quelle que soit la couleur qu'elle emprunte à la lumière, elle est toujours vraie. Une vaste latitude est donc laissée à l'imitation; de là résulte un grand embarras pour le peintre; que doit-il choisir?

:

Au point de vue de l'art, la nature a deux vérités la vérité rare et la vérité ordinaire.

Une vérité rare, c'est par exemple un ciel rayé par le feu des éclairs, ce sont des chairs éclairées par la lueur des flammes. Une vérité ordinaire, ce sont des objets hors de toute influence qui les dénature, hors de toute condition qui en change la couleur propre.

Le coloris vrai rare et le coloris vrai ordinaire sont tous deux possibles, excellents, puisque tous deux sont vrais. Mais ce qui est le vrai rare semble en peinture moins vrai que ce qui est le vrai ordinaire. D'un côté, il y a la vérité simple, de l'autre la vérité vraie.

Rubens a la vérité vraie.

Ce que nous venons de dire de l'harmonie et de la vérité combattra-t-il suffisamment ce dire populaire : « Les Vénitiens sont plus vrais, plus harmonieux ? >>

Si nous n'avons pas réussi à nous faire comprendre, que l'on jette un regard sur nos esquisses; la démonstration peut-être sera plus frappante : peut-être pourra-t-on se convaincre que l'harmonie des teintes de Rubens n'est pas moins parfaite que celle des teintes du Titien, et que la vérité y est mieux choisie.

On objectera peut-être que nos esquisses sont des exceptions; que c'est par l'ensemble des œuvres qu'il faut juger un maître. A cela nous répondons que ces deux exemples représentent assez la manière de nos grands coloristes et que, eussions-nous sous les yeux vingt autres tableaux, nous n'aurions pas d'autres traits caractéristiques à signaler.

TOME XXXII.

4

Et maintenant, quelques remarques sur le clair-obscur.

Le clair-obscur, on le sait, fait partie intégrante du coloris.

Les deux dessins ci-joints résument, le premier, le clair-obscur du Titien, le second, le clair-obscur flamand.

Supposons que dans le tableau du Titien un maître flamand apporte des changements à sa manière, ajoute ce qu'il croit devoir y substituer selon ses principes jetant ici des ombres, là des lumières. Supposons enfin qu'il transforme le clair-obscur vénitien en clair-obscur flamand. Cette transformation donnera un résultat curieux, elle jettera un grand jour sur un point important de l'originalité de l'école flamande.

Disons d'abord ce que le maître flamand admet, ce qu'il ne change point.

L'opposition des masses obscures (A A, premier dessin) aux masses de lumières (BB), la lumière ménagée sur les chairs (CCC), les échos (DD).

Ce qu'il n'admet pas, le voici les trois masses obscures, divisées et dirigées parallèlement (EEE); la ligne des apôtres, découpée en silhouette noire sur le ciel clair (F F); les masses tranchées de la figure de la Vierge (G) et des figures du haut de la toile (II HI); les chairs peu lumineuses de la Vierge et celles de quelques apôtres ; la lumière papillotée des anges dispersés dans le ciel; la masse vide et uniforme de l'espace (I); l'étendue vide et uniforme du ciel à l'horizon (K K ), l'égalité de force dans toute l'étendue du tableau; l'uniformité générale dans les chairs, les draperies et les accessoires.

Signaler ce que le peintre flamand désapprouve, c'est appeler les regards sur les points qu'il transforme :

Les trois masses d'ombres divisées et parallèles sont corrigées d'abord par les deux moyens suivants : Une masse obscure (rocher, muraille ou tombeau), (A, second dessin) lie la ligne des apôtres à celle des anges. Une autre masse (nuages ou figures) va de la ligne des anges à la troisième ligne qui couronne le tableau (B). Ces deux masses posées comme trait d'union amènent deux autres changements importants. Premièrement, elles rompent la monotonie de la masse vide du haut du ciel; secondement, elles coupent l'étendue vide du ciel à l'horizon. Deux moyens rendent aux chairs sombres de la

[blocks in formation]
« PreviousContinue »