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artifices, ces mensonges sont les vraies illusions de l'art, les véritables secrets du dessin.

Ces deux figures, l'une de Rubens, l'autre de Michel-Ange, viennent ici à l'appui de nos assertions.

L'une et l'autre de ces figures n'ont point la justesse mathématique, la précision photographique; chacune d'elles a ses incorrections intentionnelles, ses recherches intelligentes.

Les deux maitres sont dans l'art d'imiter d'habiles prestidigitateurs. Mais on remarque dans ces figures des différences qu'il est important de signaler : elles caractérisent tout à la fois et d'une manière bien nette l'individualité de Rubens et de son école.

Si nous jetons un regard sur les dessins ci-dessus, il est facile de saisir les similitudes et les divergences qui les distinguent d'abord une analogie frappante s'aperçoit dans la pose, le mouvement et le caractère. Mais voici en quoi les différences sont sensibles : la pose de Michel-Ange est énergique TOME XXXII.

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et variée; celle de Rubens plus variée encore et plus énergique. Le mouvement du maître florentin est bien senti, celui du maître flamand est plus grand et plus expressif. Le premier a des formes athlétiques à la manière antique, le second des formes athlétiques trouvées dans la nature.

Remarquons dans le dessin de Rubens cette grande ligne d'ensemble de la tête au pied, cette courbure de la colonne vertébrale, cette grande flexion de la cuisse et de la jambe droite, cette ondulation constante des lignes d'ensemble et des lignes de détails, cette variété soutenue dans tous les contours, cette morbidesse dans les chairs et ces muscles palpitants sous la peau. Puis, remarquons l'épine dorsale s'effaçant là où la lumière est appelée, ces parties d'ombres sacrifiées à la couleur, ces muscles lombaires se perdant dans les replis si vrais de la peau. Toutes ces choses sont les traits caractéristiques du maître. Elles deviennent plus sensibles, plus faciles à saisir à l'instant qu'on les cherche dans son antagoniste. Ici, la ligne d'ensemble est moins étendue, la colonne vertébrale a moins de mouvement, les cuisses et les jambes ont moins d'action, la souplesse des chairs est moins sentie et l'on n'aperçoit nulle part des sacrifices en faveur du clair-obscur, du relief ou de la couleur.

Les combinaisons de Michel-Ange tendent à obtenir d'autres résultats. Nous n'avons pas ici à nous en occuper.

Voici maintenant un autre exemple caractéristique du dessin de Rubens.

Ces formes (A) ne sont point la copie fidèle d'un modèle vivant, elles ne sont point celles que choisissaient les Grecs: ces formes sont l'idéal du beau pittoresque dans toute l'acception du mot.

A côté de ce dessin (A), nous en plaçons un second, puis un troisième. Le second (B) rappelle les formes de Michel-Ange; le troisième (C) celles de l'antique. Ce parallèle nous fournira des démonstrations nouvelles.

A

B

Nous avons pointillé sur le dessin flamand le contour antique ; par ce moyen, nous déterminons le caractère du dessin flamand, nous le rendons sensible aux yeux et en quelque sorte palpable. L'originalité peut ici se mesurer par millimètres.

Le dessin de Michel-Ange (B) nous montre un terme moyen, un milieu entre deux grandes époques de l'art : l'époque de Phidias et celle de Rubens. Michel-Ange est la transition de la forme grecque à la forme flamande : l'acheminement vers le mouvement, la morbidesse et la vie.

Pour terminer, caractérisons d'un trait l'école flamande.

Les cinq lignes ci-dessous tracées représentent cinq caractères de maîtres différents :

La première rappelle la roideur de la renaissance, la naïveté un peu gauche du Giotto;

La seconde, le dessin déjà moins guindé et plus nourri d'Albert Durer; La troisième, se ressentant encore des deux premières, rappelle la beauté et la grâce de Raphaël;

La quatrième, la force et l'ampleur de Michel-Ange;

La cinquième, l'énergie, le mouvement, la variété, le pittoresque de Rubens.

S S S S S

GIOTTO.

A. DURER.

RAPHAËL.

MICHEL-ANGE.

RUBENS.
École famande.

TROISIÈME PARTIE.

COULEUR.

Généralement, on accorde une bonne couleur à l'école flamande. C'est son côté caractéristique le mieux connu, c'est aussi le moins contesté. Quelques erreurs cependant se mêlent aux appréciations vulgaires. Nous avons vu que l'on compare sans cesse le dessin flamand au dessin italien. De même la couleur flamande est souvent opposée à la couleur vénitienne. L'école flamande, dit-on, a du brillant, mais les Vénitiens sont plus vrais, plus harmonieux. Voilà ce que répète la foule. Nous avons dit pourquoi il est bon de combattre les préjugés : ici encore nous les rencontrons, ici encore nous chercherons à rétablir la vérité.

Qu'entend-on par une bonne couleur?

Les uns s'imaginent qu'elle consiste dans l'imitation parfaite de la couleur propre à chaque objet. Les autres la cherchent dans certains tons dominants sur toute la surface d'une œuvre : il y a des admirateurs de tableaux roux, des admirateurs de tableaux gris, des admirateurs de tableaux noirs, et indépendamment de ces diverses opinions, il règne une opinion générale, une opinion souveraine, qui dure un temps, passe et se renouvelle. Ces manières de voir changent comme la pluie et le beau temps. Le vent de la mode apporte à son gré les tons bruns, les tons gris ou les tons jaunes. Tout le monde se conforme à ces variations. On dit de la couleur d'un tableau : <«< C'est la mode » comme on dit : « C'est la mode » en parlant de la forme d'un chapeau.

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