Page images
PDF
EPUB

renvoyons le lecteur. Ainsi notre analyse sera plus facile et nos observations plus intelligibles.

Dans la composition, Rubens recherche avant tout le pittoresque; l'idée toujours est subordonnée à l'aspect, soumise à cet arrangement séduisant sans lequel un tableau n'a point de charme.

En composant, la première ligne que trace le maître, c'est la ligne synthétique (A): elle embrasse toute l'étendue de la scène ; par son mouveinent, elle exprime déjà le caractère du sujet. Dans le tableau des Amazones, cette ligne est une déroute; dans celui de Constantin contre Maxence, elle est un choc; dans la Chute des Réprouvés, un écroulement.

Dans le tableau qui nous occupe, la ligne synthétique représente une marche.

La première ligne tracée (A), Rubens dessine les grandes lignes secondaires (B): elles forment des masses mouvementées que j'appellerai embryon

naires.

Au milieu de ces lignes harmonieuses, on devine déjà des êtres animés, de nombreux groupes d'hommes; on voit de l'agitation partout, partout de la vie. Il y a là tumulte, empressement, effort. Il y a là un effrayant mouvement de sinistre présage. Il se passe là quelque chose de grand, d'imposant, de terrible.

Telles sont les impressions que produit ici le mouvement des masses embryonnaires.

Voici maintenant la composition complétée :

:

Dans cette seconde partie de son travail, Rubens apporte la variété dans le choix des objets peuple, soldats, femmes, enfants, vieillards, chevaux, étoffes, cuirasses, ciel, arbres, plantes. Après cette opération, le grand peintre cherche la perfection dans la forme des groupes: contrastes, rondeur, variété, harmonie, mouvement; tout ici est réuni. Les groupes s'étalent tantôt en pyramide, tantôt en grappes. Rubens applique la forme arrondie aux sujets tranquilles, la forme élancée aux sujets mouvementés. Cette TOME XXXII.

2

dernière forme est adoptée ici; les deux figures (AA) en sont un exemple frappant elles caractérisent à elles seules la manière du maître les jambes (BB) sont, au point de vue de l'agencement, un trait de génie elles expriment merveilleusement l'empressement de la marche et impriment à toute la composition un entraînement harmonique. Ces trois lignes parallèles sont un coup de fouet donné au mouvement général.

Les dispositions heureuses dans les effets du clair-obscur favorisent tout à la fois le dessin, le mouvement, la couleur, l'expression et le relief. Ici, les masses d'ombre et de lumière sont distribuées avec un art infini. Il y a variété, contraste, opposition, balancement; l'objet se détache tantôt en clair sur ombre (C), tantôt en ombre sur clair (D); de toute part, jeu continuel du lumineux et de l'obscur; de toute part, moyens ingénieux d'obtenir des reliefs, des contrastes propres aux effets et des effets propres à la couleur. Voyez cette masse lumineuse partir du pied de la figure d'avant-plan (A); elle marche, marche, gagne le dos d'un larron (E), la croupe d'un cheval (F), l'homme qui le monte (G), et se perd dans les clartés du ciel. Voyez cette autre masse lumineuse commencer à droite, au pied de l'enfant (H), s'étendre sur la Madeleine, sur le bras d'un bourreau (I), sur le soldat à cheval, et s'évanouir dans les groupes supérieurs du tableau. Merveilleux enchaînements dont Rubens seul connait le secret!

Dans le choix favorable aux charmes de la couleur, le maître est inépuisable en ressources ingénieuses: ici, ciel, terre, figures, draperies, accessoires, tout concourt à la splendeur du coloris.

Les chairs de l'esclave qui pousse (A), celles des bourreaux, celles des larrons, des enfants et de la Madeleine, sont dans des conditions de pittoresque admirable. Au moyen de la masse d'ombre (K), le dos de l'esclave prend de la vérité et de l'éclat; au moyen du manteau sombre de la Vierge (L), la Madeleine devient fraîche et brillante. Au moyen des tons sourds du terrain, le groupe d'enfants resplendit de fraîcheur.

Passons à la richesse d'idées caractéristiques.

Voici un chemin tortueux, exprimant la montée du Calvaire; des hommes à cheval, exprimant une grande escorte; un homme sonnant la trompette,

[graphic][subsumed][subsumed]

exprimant un grand événement. Les enfants jouant au milieu de ce drame navrant, sont une antithèse frappante. Le bourreau saisissant le Christ par les cheveux, offre une scène de férocité, caractéristique.

Le choix du caractère des formes et des accessoires est parfait dans cette admirable composition. L'esclave qui pousse affecte un saisissant cachet de grandeur, ses formes herculéennes sont bien adaptées au sujet. Le dessin en général a la puissance qui convient aux temps bibliques. Cette page est homérique par le fond, elle devait l'être par la forme. Peu d'accessoires caractérisent la scène. La corde dont s'est armé le bras d'un bourreau, la pique dont le Christ est frappé sont d'une grande force d'expression, deux accessoires bien choisis et bien placés.

L'unité, l'économie et la concision sont des qualités où excelle encore le grand maître flamand. Les lignes harmonieusement jetées, les lumières savamment concentrées, les repos heureusement distribués, les forces adroitement placées, constituent une parfaite unité. Ici, les regards sont attirés partout, mais l'œil est ramené sans cesse vers un point la croix. Effet merveilleux! cette croix semble le lien qui unit toutes ces grappes d'hommes.

L'économie dans les objets accessoires et la concision dans l'agencement des groupes produisent tout à la fois force, grandeur, clarté. Nous ne voyons pas ici un objet inutile; les groupes sont serrés et bien nourris; pas une figure ne peut être ajoutée; pas un objet ne peut être retranché; tout est sagement mesuré; espaces occupés et espaces vides sont ce qu'ils doivent être, rien ne peut être changé.

La ligne de Rubens ne se corrige point. C'est un vers de Corneille.

« PreviousContinue »