Page images
PDF
EPUB

CONSTITUTION DE L'ACIER.

Examen des différentes variétés d'acier.

Pour bien comprendre la constitution de l'acier et s'expliquer les causes qui influent sur ses qualités, il est indispensable de connaitre d'abord l'influence des différents agents qu'on emploie ordinairement pour travailler ce métal. Ces agents sont la chaleur, le martelage, la trempe et le recuit.

Les effets produits sont faciles à constater, si l'on prend pour point de départ le métal après qu'il a subi la trempe, et qu'on l'analyse successivement après chacune des opérations suivantes :

1° L'acier est porté rapidement au rouge et trempé dans l'eau froide ; 2° L'acier trempé est porté rapidement au rouge; on le laisse refroidir lentement;

3o L'acier trempé est maintenu au rouge pendant très-longtemps; on le laisse refroidir dans les mêmes conditions que précédemment.

Ces trois opérations différentes donnent chacune à l'acier des propriétés particulières, et la constitution du métal est également modifiée. Il suffit pour s'en assurer de le dissoudre dans un acide fort et concentré, l'acide chlorhydrique par exemple.

L'acier trempé (no 1) est dissout intégralement sans résidu charbonneux; L'acier trempé recuit peu de temps (no 2) est dissous plus facilement par l'acide, mais laisse un résidu charbonneux notable, qui finit cependant par disparaître à l'aide de la chaleur;

L'acier trempé recuit longtemps (no 3) est encore plus facile à dissoudre que le précédent, mais il laisse un résidu de charbon insoluble même à chaud dans l'acide employé '.

On voit d'après ces réactions que dans l'acier trempé le carbone est inti

'Lorsqu'on dissout un earbure de fer non graphiteux dans l'acide chlorhydrique, une partie du carbone s'échappe à l'état de carbure d'hydrogène, et une autre reste dissoute dans la liqueur où il est facile de la retrouver. On n'a pu jusqu'ici déterminer à quel état se trouve ce carbone soluble dans l'acide. Peut-être se forme-t-il un sel organique de fer analogue à l'oxalate ou au croconate.

mement combiné au fer, et que la dissolution de l'un s'opère en même temps que celle de l'autre.

Dans l'acier recuit (n° 2) la combinaison est déjà moins intime; le corps le plus attaquable est dissous d'abord, mais le carbone n'a pas été complétement modifié, et finit également par disparaître sous une action plus puissante.

Dans l'acier longtemps recuit (no 3), la combinaison n'existe plus; le fer est séparé du carbone, et ce dernier reprend un des caractères qu'il possède lorsqu'il est libre, l'insolubilité dans les acides.

Prenons maintenant les deux espèces d'acier recuit (nos 2 et 3), portonsles rapidement au rouge, trempons-les de la même façon et voyons ce qui arrive.

L'acier recuit peu de temps (no 2), est devenu dur sous l'influence de la trempe, son charbon est combiné de nouveau et complétement avec le fer : l'acide dissout le métal sans résidu.

L'acier qui a été recuit longtemps (no 3) ne se comporte pas de même, la trempe modifie à peine sa dureté; le carbone ne s'est pas combiné avec le fer, la dissolution dans l'acide le démontre. Le métal est devenu aigre et cristallin; au lieu d'être une combinaison de fer et de carbone, ce n'est plus qu'un mélange intime de ces deux corps.

Poursuivons notre examen en opérant sur cette dernière espèce d'acier qu'un recuit trop prolongé a rendu incapable de durcir par la trempe. Nous portons rapidement le métal au rouge cerise, et nous le martelons vivement jusqu'à ce qu'il soit assez refroidi pour ne pouvoir enflammer un copeau de bois sec. Une partie de cet acier est enterrée dans le frasier et abandonnée à un refroidissement lent; l'autre, portée de nouveau à un rouge convenable est trempée dans l'eau froide, voici ce qu'on remarque alors :

Ce métal, qu'on ne pouvait plus appeler acier, a repris presque toutes ses propriétés primitives, la trempe l'a durci et l'acide le dissout à peu près intégralement. Ce qu'avait défait la chaleur par une action prolongée, le martelage suivi de la trempe l'a refait presque complétement.

Puisque la trempe seule n'avait pu régénérer la combinaison du fer et du carbone, nous pourrions dès à présent conclure que l'action du marteau suffit pour produire ce phénomène. Mais pour plus de sûreté, nous examinerons la

partie non trempée de notre acier, qui a été abandonnée à un refroidissement lent après le martelage.

Les caractères que présente le métal sont ceux de l'acier faiblement recuit; même dureté, même élasticité. Quant aux propriétés chimiques, on constate que le charbon qui, avant le martelage, était insoluble dans les acides, s'y dissout maintenant presqu'intégralement à l'aide de la chaleur. Ce mauvais acier, qui n'était plus qu'un mélange de fer et de carbone, est donc devenu, sous l'influence du martelage, une combinaison de ces deux corps, ou bien, le martelage a ramené le carbone à un état tel que sa combinaison avec le fer peut être opérée par la trempe. C'est là l'état dans lequel le carbone doit toujours se trouver dans un bon acier avant la trempe.

Nous ferons remarquer néanmoins qu'en parlant de l'effet du martelage sur l'acier détérioré par la chaleur, nous n'avons jamais dit que, sous l'influence de cette action physique, le métal pût reprendre exactement toutes les propriétés qu'il possédait auparavant. En effet, il n'en est pas ainsi; le martelage et la trempe produisent sans doute un effet considérable, mais par ces opérations réunies, il est bien rarement possible de rendre à un acier détérioré toute sa bonté et toutes ses qualités antérieures.

Nous ajouterons en outre que, pour reproduire à volonté ces faits dont la constation est bien facile, il est absolument nécessaire d'opérer sur des aciers de qualité supérieure, car la présence du soufre, du phosphore et du silicium en quantité notable, amène dans les réactions et les propriétés dont nous venons de parler des pertubations qu'il sera facile de comprendre bientôt '.

Lorsqu'on soumet l'acier à une température trop élevée, il perd également ses qualités, on dit, en termes d'atelier, qu'il est brûlé. Il peut se présenter deux cas : l'acier exposé à l'oxydation de l'air à haute température a perdu une partie de son carbone qui s'est échappé à l'état de gaz; ou bien, si l'oxydation n'a pas été considérable, le fer et le charbon se sont simplement séparés, et l'effet produit ressemble à fort peu près à celui dont nous avons parlé à propos de l'acier recuit trop longtemps.

Il ne faut pas non plus s'en rapporter à une seule expérience pour arriver à une juste appréciation des résultats obtenus; nous avons reconnu souvent que plusieurs analyses étaient indispensables.

Dans le premier cas, le martelage ou la trempe sont complétement impuissants à régénérer l'acier.

Dans le second cas, qui se présente le plus souvent, un martelage convenable rend à l'acier ses propriétés, mais il est à remarquer qu'une chaleur trop élevée produit toujours un peu d'oxydation, c'est-à-dire une perte de carbone; c'est pour cette raison que jamais l'acier brûlé ne reprend ses qualités premières à moins qu'on n'en sacrifie la partie qui a été exposée à l'oxydation.

Plusieurs trempes faibles (sans martelage) peuvent aussi reproduire la combinaison du carbone et du fer dans l'acier détérioré, mais ce moyen tout expérimental de régénérer l'acier, ne saurait être employé habituellement, parce que bien peu d'aciers résistent à quatre ou cinq trempes successives; la plupart du temps, il se manifeste des criques ou des pailles qui mettent le métal hors de service.

De tous ces faits on peut conclure que parmi les agents employés dans le travail de l'acier, les uns, la chaleur trop élevée ou trop longtemps prolongée, tendent à produire la séparation du fer et du charbon; les autres, le martelage et la trempe, peuvent jusqu'à un certain point reformer la combinaison détruite ou tout au moins ramener le carbone à un état tel, qu'il puisse se combiner avec le fer sous l'influence d'une trempe bien faite.

Rappelons-nous maintenant les effets produits sur les carbures de fer par les différents corps que nous avons considérés comme étrangers, et qui souillent presque toujours les aciers.

Le silicium, le phosphore, etc., ont la propriété de chasser une partie du carbone lorsqu'on les introduit dans les carbures de fer, et le peu qu'ils y laissent a beaucoup de tendance à se séparer à l'état graphiteux. On reconnaît très-facilement cette propriété en essayant de cémenter des fers fortement siliceux, sulfureux ou phosphoreux; quelque soin, quelque temps qu'on y mette, la cémentation pénètre peu; le charbon, à mesure qu'il se présente, semble être repoussé par ces métalloïdes; on le voit à la contexture du métal, lorsqu'on casse les barres après la cémentation, et l'analyse le constate éga

lement.

Puisque ces corps étrangers ont sur le carbone une action répulsive qui

tend à l'empêcher de se combiner au fer, il semble naturel qu'un acier souillé par l'un des deux devienne mauvais après plusieurs chaudes. Pour bien le faire comprendre, nous allons choisir un exemple qui expliquera ce qui se passe le plus ordinairement avec les aciers de mauvaise qualité.

Supposons un acier siliceux qui ait été fondu au creuset avec les précautions ordinaires. A la température de fusion de cet acier, le carbone est dissous par le fer en même temps que le silicium. On coule l'acier dans une lingotière en fonte où le métal se refroidit assez vite pour que l'élimination du carbone par le silicium n'ait pas le temps de se produire; le lingot est porté au rouge et rapidement martelé au moyen d'un martinet très-lourd dont les chocs répétés empêchent aussi, comme nous l'avons fait voir, la séparation du carbone et du fer; on laisse ensuite refroidir après un léger recuit à peu près inoffensif. C'est dans cet état que sont généralement livrés au commerce les aciers de cette espèce; lorsqu'on les essaye, on ne peut apercevoir encore les défauts qu'ils auront plus tard; leur carbone n'étant pas séparé de la combinaison, ils peuvent supporter la trempe et le recuit sans trop d'inconvénients; mais vient-on à chauffer plusieurs fois cet acier, la chaleur finit par séparer le carbone qui ne peut plus se recombiner à cause de la présence du silicium, et cet acier qui dans les premiers moments durcissait par la trempe comme un acier de bonne qualité, ne subit plus l'influence de cette opération. Il est devenu un véritable mélange de carbone et de siliciure de fer que souvent un martelage énergique est incapable d'améliorer.

Nous avons pris pour exemple un acier contenant du silicium, parce que c'est le cas le plus fréquent qui se présente, et que, d'ailleurs, le soufre et le phosphore ne se trouvent que bien rarement dans les aciers en quantité assez notable pour exercer une action sensible sur le carbone combiné. En dehors de la propriété commune avec le silicium de provoquer l'expulsion du carbone, ces métalloïdes ont en outre des effets qui leur sont propres ils rendent les aciers cassants soit à froid soit à chaud, et sous ce rapport deviennent tellement nuisibles que les métallurgistes pensent d'abord et avant tout à s'en débarrasser.

En regard de cet exemple, examinons maintenant un acier de bonne qualité. Pour qu'un acier soit bon, il ne suffit pas qu'il supporte la trempe, même

TOME XXXII.

3

« PreviousContinue »